De la nuisance et de l’origine de l’espoir (je m’amuse à faire du Cioran)

by Florian

Le plaisir de la plupart des êtres humains repose sur la nuisance. Leur affection, leur sympathie pour autrui n’est effective que s’ils peuvent lui nuire et lui enlever une part de lui-même. C’est un principe de sociabilité. On accepte une personne à condition qu’elle soit des siens, c’est-à-dire diminuée, improductive et confuse. C’est pour cette raison également que des stars se protègent, parfois de manière ridicule, afin qu’on ne puisse leur porter atteinte. Mais leur art est diminué dès lors sans qu’ils s’en rendent compte, et seuls les écorchés qui finiront dans un cercueil n’auront pas subi cette diminution. Ou alors, s’ils parviennent à un âge certain, c’est au prix d’une nuisance publique et de tristes pitreries affichées envers le monde et les gens en général.

On peut nuire également pour le simple plaisir, pour s’exprimer, sans désirer autre chose que cela, nuire à une personne, peut-être aussi car on sait qu’on ne pourra l’obtenir. Nuire devient alors un passe-temps, une prostitution parfois réelle, un unique moyen d’expression face à son sentiment d’impuissance. Quand une personne est hors d’atteinte de manière loyale, on peut lui nuire autant qu’on veut et autant qu’on a peu de chose à sacrifier, car on est sans espoir. Méfiez-vous des stars, pour encore me reporter à elles, qui veulent semer l’amour à travers le monde : c’est parce qu’elles sont hors de portée de la nuisance. Mais regardez-les quand on leur met une chiquenaude, et vous verrez comme le monde entier en pâtira pendant des mois (je plaisante).

L’entièreté des relations peut alors reposer sur la nuisance, sur les interactions des uns et des autres envers ce principe. Tantôt on se réfugie là, tantôt ailleurs, tantôt on pense cela et tantôt ceci. Tout cela forme des maillons du grand tout de la nuisance. On se précipite vers le calme, ou bien la frénésie, selon qu’on a subi telle ou telle nuisance. On s’agrippe à des parois ou bien on saute dans le vide. On s’efforce d’aimer ou de haïr, mais tout provient de ce principe humain de nuire. Car nuire fait du bien et du mal. Car nuire est un naturel chez les uns, et une injustice chez les autres. On se dépêtre dans la nuisance, faisant parfois des sermons, d’autres fois des discours de haine. On s’amuse à nuire à son tour, on fait de la morale, on juge quelle nuisance en est une et quelle n’est est pas une. Et puis, vieillissant, on ne pense plus qu’à nuire ou totalement désespéré, on raconte n’importe quoi, faisant passer des vessies pour des lanternes.

C’est ainsi qu’est né l’espoir, la croyance selon laquelle l’homme ne puisse plus nuire à l’homme, et qui a causé de très grands dommages, c’est ainsi qu’on est passé de la guerre entre tribus aux guerres mondiales, espérant faire passer la paix dans le monde entier. Cet espoir que l’humain ne veuille plus nuire est passé par toutes sortes d’idées, parfois intéressantes, parfois ahurissantes et grandiloquentes. La science n’est jamais parvenue à promettre que l’homme ne veuille plus nuire, ayant probablement abandonné cette idée au fil de ses recherches, mais elle promet seulement de l’augmenter, sans se demander si la nuisance sera plus forte encore. Certains s’appuient sur elle pour en proposer la fin définitive. Mais ce qui est définitif est sans doute la plus grande des violences, la plus grande des nuisances. Si seulement l’espoir était personnel et non partagé, il y aurait moins de dégâts. Mais cet espoir personnel, chez la plupart des gens, ne produit que de la nuisance autour de soi, du sacrifice pour l’un, ayant abandonné soi même la nuisance pour celle d’un autre.