Je ne suis pas vraiment sûr que le manque aboutisse un jour à la meilleure des nations. Ce manque total d’existence ne fera pas du progrès une chose loisible. L’otium n’est pas le negotium. Je ne crois pas non plus qu’on progressera autrement que par le négoce. Et pour finir je ne crois en rien de ce qui existe. Je dois croire en une sorte de diable qui est celui qui aime ce qui n’existe pas, celui qui nous fait rêver, et celui qui accomplit notre destin. Dieu n’a jamais voulu que nous progressions, il est le garant de toutes choses, mais le diable nous a montré des voies qui ne dépendent pas seulement de la stabilité et de l’ordre, il nous a ouvert les voies du paradis. Ce paradis a été bafoué par les hommes du progrès et de la croissance. Mais attention : tous les hommes et les femmes du progrès et de la croissance, et surtout ceux et celles qui veulent un monde meilleur. Le diable est mort, et nous avons dieu pour nous servir. Nous punira-t-il que nous ayons exécuté son ennemi ? A coup sûr non, mais il fera de nous les garants de ce qui existe, et ceux qui encore ont un bout de rêve et d’indicible au bout des doigts, comme une soie éphémère, verront ces doigts bruler, bruler encore jusqu’à ce que la sensation de brulure les fasse trouver dans les médecines du confort ce qui existe et qui n’est pas inflammable.
Les maladies se propagent encore, plus que jamais les symptômes existent, mais ce sont des symptômes qu’on règle toujours et encore avec ce qui existe. Et ce qui existe je vous le dis, c’est ce qui fera taire le monde irrémédiablement, c’est ce qui avalera les rêves de ceux-là également qu’on eut les mystiques et les chrétiens, car les rêves ne sont pas de l’ordre de ce qui est juste et sensible, mais de ce qui dévalorise l’existence. L’humiliation ne sera plus permise, le cynisme non plus. Mais l’existence sera si prompte à exercer ses règles et ses lois que la matière sera bénite comme de l’or, et toutes sortes de matières ; celle de l’économie comme celle du corps qui n’on jamais été que les mêmes choses. Celle du progrès des moeurs comme celle du conservatisme, qui entretiennent une foi démente à ce que l’ordre règne.
L’ordre est une bulle de savon, prête à éclater. Elle éclatera si jamais les cornes du diable viennent à sortir de la matière, mais vous savez bien que le diable s’est joué de la matière et qu’il est tombé à terre, tout au fond de la terre, parce qu’il n’a jamais pu vivre dans le creux et à la surface de la terre. Il a fallu l’enfouir, si profondément que le ciel l’a oublié, si profondément que les astres ne le regardent plus. Et le rêve de la raison, le rêve qui d’ailleurs l’avait tant aimé, a sombré aussi – car la raison est un rêve de ce qui n’a jamais existé.

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