Claire Ceira

pourquoi j’aime mon supermarché

par claire le 29 janvier, 2016

Pourquoi j’aime mon supermarché ? parce qu’il est à 5 minutes de chez moi, que je passe devant la caserne des pompiers flambant neuve, énorme. parce qu’il se trouve derrière une petite cité crade, et que je vois les gens y venir avec leurs vieux sacs, leur fatigue. parce que je vois en été les jeunes guetteurs assis dans la rue en impasse, sur une chaise qu’ils ont mise là. longs corps dans l’adolescence, ennui des heures de chaleur. parce qu’ils ont refait la grande surface du parking dans laquelle les pluies d’ici si fortes créaient des sortes d’étangs infranchissables. le bitume neuf, les lignes bien blanches encore, la circulation qui s’est régulée entre la sortie et l’entrée…mais j’aimais aussi le vieux bitume affaissé, les fissures, le désordre. parce qu’en fin d’été, sur une haute clôture qui ferme tout un côté du parking, des plantes grimpantes font un tableau superbe : bleu violet des ipomées, bleu doux des plumbago, et puis cette liane inconnue aux fleurs jaunes, et que de l’autre côté on aperçoit au loin un grand jardin envahi de coquelicots. parce que les caissières sont toujours les mêmes et rigolent entre elles ou avec les magasiniers. parce qu’elles sont gentilles. parce qu’il y a une forte proportion de vieillards, de vieillards pauvres, et que je peux voir comment le temps travaille les visages et les corps, les démolit. parce qu’il y a un rayon de jouets bon marché qui me rappelle des choses. parce que je sais exactement où se trouve chaque rayon. parce qu’il flotte un parfum de malheur, de précarité, qui m’envahit peu à peu et qu’en sortant je le porte avec moi un moment, qu’il m’angoisse. parce qu’il y a des femmes voilées, lourdes, des filles maquillées, des petits enfants qui touchent les rayons. parce que beaucoup de gens se saluent, se connaissent. parce que je ne connais personne. parce que j’ai connu avant – à Amiens – un supermarché de la même chaîne, de la même taille, où j’allais aussi toutes les semaines, où les clients étaient plutôt bourgeois, c’était près des quartiers sud. parce que je pense à autre chose quand j’y suis, à des gens absents. parce que j’y suis allée si souvent, depuis si longtemps, dans des humeurs si diverses, le temps fait comme une tapisserie.

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