Claire Ceira

point de nuit

par claire le 19 mai, 2010

écrire,
comme si le bateau s’était mis en marche le long du quai dans la nuit
et que j’étais occupée pendant ce départ.

quand j’ai pu me rendre sur le pont supérieur
la nuit avait déjà tout rempli
ceux du quai l’avaient déjà quitté, rejoint leurs maisons
alors j’ai commencé à leur parler
du bord de la séparation
s’élargissant.

je crois que j’ai toujours vu le motif
pendant que se déroulait l’histoire :
trame de ce qui arrive et chaîne de ce qui n’arrivera pas.
une tapisserie dédiée au rêve, à l’éternité friable et vivace
– et aucun doute.

je savais que c’était l’espace
du pays étranger du désir…que rien ne serait vrai.

mon corps parlait (pour lui-même) à sa façon devant moi
qui pourtant suis sa propriétaire, son habitante
et même qui SUIS LUI.

il révélait la beauté d’un corps absent
cette poignée :
un corps masculin.

ce que je ne peux être, ni saisir
et devant lequel s’arrête
ce qui me quitte en ce moment même.

(illustration : une encre de zhou gang)

T.G.V. images

par claire le 13 mai, 2010





barque

par claire le 12 mai, 2010

rêve, se coucher dans une barque la nuit.

au-dessus d’elle ce froid
d’étoiles faiblement luisantes
quelque chose de lent et persistant

le corps lui aussi ondulant, l’eau
le long de la barque doucement la fait rouler
tout respire le même rythme invisible

et l’eau respire aussi
petit halètement pensif
d’animal éternellement collé contre le plat-bord.

les points de contact :
ce récit muet
qui fait du toucher son langage
des mouvements ses messagers

toutes les humeurs dont la vie se baigne
parlant à l’eau du fleuve sombre
à travers la paroi de bois.

premier jour, rêve

par claire le 26 avril, 2010

qui se glissait par l’escalier
de ciment derrière la maison,
montait sans toucher la rampe,
frappait et aussitôt entrait.

c’était toujours lors d’une journée immobile et stérile
sa venue en faisait une bulle d’eau
teintée de ciel
(boisson qu’on n’a jamais pu boire dans la solitude)
elle recommençait à couler
jusqu’à son terme :
franges d’arbres plongeant dans le noir.

c’était pris dans des feuillets
c’était replié
et ses doigts tournaient dans le rêve
dans la lumière baissant,
bientôt on n’y verrait plus
ni page ni enchanteur.

autoroute

par claire le 19 avril, 2010

aéroport salle d’embarquement

par claire le 19 avril, 2010

Levant

par claire le 12 avril, 2010

Si je jette un regard en arrière
(à ce moment où on quitte l’île)
c’est pour voir encore celui qui
– très loin –
nu et brun
mesurait la hauteur de l’eau,
sondait sa transparence.

En dessous comme une grande écharpe
noyés
les rochers couverts d’herbe et le sable blanc
l’eau, contraire du soleil.

Je le devine à peine de si loin
droit, figurine
portant au milieu de lui ce blason
noir centré de pâleur.

C’est la dernière image de mon enfance
debout au bord de l’île de l’enfance
son corps pousse violemment
en avant le bateau.

presque rouge

par claire le 12 avril, 2010

Une flamme presque rouge, dans l’espace incolore du froid
gazeuse et rouge
une flamme pour prisonnier Une idée de feu qui traverserait
les vêtements et la tension musculaire
et voyagerait
à travers l’espace
Une idée qui serait aussi
une réalité qu’on peut avoir pour soi.

Ce qu’on voit naître
parfois
sans y avoir pris aucune part.

squelette

par claire le 12 avril, 2010

de temps en temps me vient vraiment l’idée de mon squelette.

avant cela me faisait peur
mais peu a peu
l’idée de cette architecture mobile
intérieure et pourtant si perceptible
l’idée des articulations, des ligaments
dissimulés par la peau
et l’obéissance de ce corps me plaisent
comme une maison d’enfance qu’on n’a pas perdue.

me plait maintenant qu’il lui arrive de me faire un peu mal
comme une personne pleine de prévenance
qui vous comprend et doucement parle
de ce qu’on commence a comprendre.

lieux

par claire le 31 mars, 2010

dans la courbe du fleuve dans la boue lisse,
dans le bras du fleuve
(vois leurs dos mouvants, bougeant
et ce qui monte vers le soleil léger)
les bras comme des marches de fleuves
les voix comme de petites compagnes.

rien n’est perdu et tout revient
de là, de l’autre côté du fleuve
le dos des tanches, leurs nageoires
brillant au soleil,
sillonnant la boue tiède
– des embrassements
qui vont fouiller dans le corps les méandres sensibles.

°
ta beauté, c’est ce qui s’élève entre nous
et partout quand je pose la main
sur la beauté de ton corps.

la beauté de ton corps n’existe pas seule
même la tension de poser la main
commence à créer quelque chose.

°
une île perdue au milieu d’un espace, d’une fente de nuit confuse
île cassant le rythme des vagues
– et fines vagues des poils sur l’avant bras
sur les phalanges des mains au repos.
émergeant, triangle, d’une nuit
flancs, sommeil que je ne connais pas.

j’aborde l’île, écrasée
par l’assaut phosphorescent des vagues
je vomis tout ce que j’ai bu malgré moi.

l’inverse d’un fleuve : un cône sombre noyé de brume, en surplomb.
il appuie sur les yeux quand on dort à ses pieds
dans le sable grenu.

on touche la mort dans son sable.

je vois tes cercles, tes criques
les bras de la mer pénétrante
je cherche un nom pour t’appeler, déchiqueté.

le froid.
l’étrangeté descend en nappes des flancs de tes montagnes
île sans habitant, idole :
je te regarde comme une chose qui jamais ne regardera
je t’assigne une absence de nom.

une chaleur naît du refuge,
du cordon de dunes. une tristesse vibre à l’horizon.
…il y a quelque chose d’illusoire
dans mes propres odeurs, mes vêtements.