noir et blanc
par claire le 23 novembre, 2010
On ne se verra plus et je ne peux plus écrire,
la tristesse est une bâche d’ombre
posée sur le sol humide des parcs, glissante
et la peur est un ciel vertical deviné entre les arbres.
Pas d’animaux pour brouter, pas de lumière clignotante
dont on se demanderait ce qu’elle indique.
pas tellement d’avenir.
la vie comme une bâche glissant sur un sol sans rien découvrir
d’important. pas de jambes
et les heures formant un temps bourbeux,
ou empêtré, peu habiles.
Les plaisirs découpent de petites fenêtres dans la façade,
mais on n’est pas chez soi dans la maison.
à la tombée de la nuit leurs couleurs acides
coulent sur le trottoir.
J’aimerais mieux le noir et blanc de cette photo
où nous échangions un long regard, braqué,
moi si raide dans le lange de coton épais,
et toi derrière la monture de tes lunettes.
La vie était pleine comme un oeuf, je m’en souviens très bien.
tôt
par claire le 14 octobre, 2010
on fonçait dans l’humide nuit d’automne
je te conduisais à l’aéroport.
au retour, les éoliennes
remuent leurs bras dans le petit matin gris-blanc.
je conduis, une main sur les genoux.
je pense à l’abandon,
la façon dont les hommes le vivent,
dans cette violence sourde.
je l’aime à ma façon
comme la brume posée à la cime des forêts.
l’abandon devient une racine,
une pluie.
bâtons noirs
par claire le 6 septembre, 2010
C’est ce monde-là qu’on voulait, avec ses signes de désordre, ses causes opaques, qui se déchirerait sous les doigts. Se livrant de lui-même pour aussitôt se retirer, fuyant sans cesse.
Les couleurs y sont entièrement mélangées et donc invisibles, l’heure est sans indice. Il fait jour sans aucune ombre.
Le sol est encore présent ainsi que le bas et le haut. La soie du monde crisse sous le stylet d’un scribe caché, inspiré……et une voix verticale, à intervalles réguliers crie, des cris noirs…
mais dans le même temps, chantante, elle habite l’espace, sans discontinuer.
A cause d’elle, on se tient debout, on marche – même bancal, et on n’a cherché aucun trou où se réfugier, disparaître.
La pesanteur, la sensation du fin brouillard sur les joues, la buée imprégnant la laine des vêtements, l’idée du jour qui se lève et les hauts pylônes presque mouvants dans le flou triste du monde
où cette voix sans mots projette son sentiment avec une telle violence, brièveté, et pénètre aussi…
il n’en faut pas plus pour qu’on puisse vivre : respirer, marcher, et pourquoi pas ? planer.
je ralentis, je reconnais, et je renonce à ce que je dis
par claire le 6 juillet, 2010
on est comme des choses mais on n’est pas entier on n’est que la moitié d’une chose
dure
dont existe
l’exactement
semblable ou symétrique
il ou elle, ce qui s’accolerait à soi
pour fermer l’espace
dans lequel une forme de petit cerveau blond
et amer porte tout ce qu’il faut pour un arbre
s’il pourrit dans la terre
si toi et l’exactement symétrique
– il ou elle
se décollent et s’ouvrent en fente
le germe pointe sa langue pâle
racine et tige
puis feuilles et branches
écorce et bientôt pollen
fertilité de noix
faite de deux exactement
semblables ou plutôt symétriques.
entre les deux coques que nous sommes
dans l’obscurité
d’un espace secret où fermente l’or des pensées
en deux hémisphères reliés.
pensées faites du temps qu’il fait
en nous
entre nous et du temps qui passe.
et le vent doit les visiter comme le froid et la chaleur
comme l’immobilité de l’hiver saisi de presque mort.
la coque des pensées c’est une maison meublée
de tout ce qui est nécessaire
toutes ces choses faites de nos mains, pour nous, pour contenir nos affaires
avec le bois de l’arbre qui naît de toute noix
toute graine
tout fruit
et durcit d’hiver en hiver
grandit l’été, se nourrit par ses feuilles
comme des mains pour tenir la lumière, ses racines comme de petits pieds très fins
pour boire le lait de la terre
pieds-bouches fins, suçant sans trêve
de plus en plus profond en son sein
couverte des frondes riches des fougères
buvant de même, vivantes et non-fausses.
tout est ainsi à sa place, comme les nombres comme les déplacements contrôlés. je ralentis.
mais tout n’est pas comme ta maison
et quelque chose vient s’interposer dans l’ordre des choses : un objet qui sort de toi
quelque chose d’artificiel fait effraction dans la tranquillité
et coule l’or d’un liquide rouge,
quelque chose qui vient de toi, arbre, dont la substance est la tienne
que tu perds et je ne te reconnaîtrai plus bientôt.
comment on ne peut arrêter le flux
ni le reflux là dans le sable
pieds nus on ne peut que voir
sous la lune aimantée cachée
la Grande Marée et son cheval vivant.
on est perdu dans les quatre directions, sans plus marcher.
on a des oreilles pour entendre et des yeux
pour voir le cheval invisible
la marée du désir qui parle
à voix basse, attendant de tout submerger sauf la digue,
et qui vient nous confirmer
dans ce chemin qu’on n’a pas marqué de petits cailloux
qui mène à ta maison où est le repos
où la pensée attend
ce qui ne fut pas représenté : éléments sensations chaos.
la maison qu’on a construite en pensant aux visiteurs.
et je ralentis, je sors du train, je reconnais
je renonce à ce que je disais
sur le seuil posant
appuyant contre les murs
les armes que je retournais
contre moi.
(variation sur « autres balises » de d i v)
poésie
par claire le 5 juillet, 2010
il n’y a personne pour comprendre
ce qui coule et qu’on voit
entre les rideaux noirs des arbres
on ne peut pas être vu soi-même
nul être humain dans le parc.
il est rempli d’une buée qui décalque
les arbres, l’eau et l’heure de la journée
les choses sont à côté d’elles-mêmes.
qui sondera
l’intérieur de la source sans nom
la honte de ce qui n’est pas honteux
le malheur porté avec ignorance ?
cheval de fer
par claire le 28 juin, 2010
c’est beau
la force électrogène qui mène sans faiblir le train et nos bagages
tandis que nous cherchons des yeux
gares et bas-côtés
les yeux flottant dans la grisaille
de l’arrière des villes.
rien qui nous fasse descendre en marche ou tomber
par une porte qui s’ouvrirait dans le flanc
– une seconde –
pour soi.
se laisser glisser et naître
dans l’endroit qu’on vient de voir.
debout un peu sonné et seul
meurtri par cet événement
faire adieu de la main au point rouge.
être oublié être une personne
au bord de la clairière où un cheval au cou arqué
broute sans rien voir.
commencer la marche sur les cailloux bruns
l’odeur de fer.
dans la campagne intime
voir le dévoilement de l’été :
colza fluo, maniaquerie des poteaux.
T.G.V II
par claire le 22 juin, 2010
Monde des voies ferrées, sortie des villes par l’envers des immeubles
des rues, des magasins discount.
on voit les crépis
réduits grillagés, hauts murs borgnes, lucarnes
tags éblouissant tout.
Un bouquet de lignes d’acier
qui s’écartent comme les lèvres du ciel blanc
l’architecture métallique et vieillotte au-dessus
et le long de votre flanc – coulant à la même hauteur
les glissantes voies rapides pleines d’autos alignées mouvantes
si nombreuses et à peine entrevues, comme menées par rien.
Ces terrains réellement sauvages de terre retournée, déversée en longues buttes rectilignes ou anarchiques ;
parcelles de végétation confiée au hasard où nul jamais ne se risque.
Sur un monticule d’ordures, dressée contre le ciel pâle, une silhouette humaine occupée à quelque ramassage, ou à un tri…
mais peu à peu on sort, c’est la campagne.
———————–
Quand je roule en arrière, la nuit
chaque lumière semble aller à regret vers l’avant du temps
et la nuit referme ses deux mains dans un geste doux et sans fin
pour tenter de la saisir.
la nuit charbonneuse aux arêtes luisantes
d’obsidienne, où chaque goutte
coule à l’horizontale
dans les cheveux noirs des heures qui passent.
——-
Il y a la lumière du jour luisant sur les eaux, remontant
aspirée par l’éclat des franges, des trous éclatants des nuées.
Il y a cet oiseau gris au flanc de la forêt, dont le vol escalade la muraille verte.
Et derrière les murs
au-dessus des talus, l’herbe mêlée de bourrache, plumeuse et mauve.
——–
Structures boulonnées suspendues
peintes en brun ou gris, filins – tunnels lépreux
arcs en plein cintre incrustés de suie.
la chanson qu’on aime se mêle aux annonces du bar en voiture 4
aux acacias verts dans les petites gares qu’on effleure – et toi où es-tu
sur la surface de la Terre ?
——–
là-bas, un garçon infirme n’est plus
sa coque vide porte encore
les traces de sa sueur et la forme de son corps
elle devra être jetée quelque part.
comme ces espaces que je parcours
se jettent à l’envers dans le passé
l’amour survole – rasant – les bosquets noyés
de clématite sauvage.
dans la forêt lointaine
par claire le 3 juin, 2010
Tu descendais la rue petit, regardant
– les yeux des enfants ont une façon liquide d’entrer dans les trous
(noir, oiseaux, feuilles) –
et ce chemin te conduisait au milieu des choses,
encore appuyé contre l’humide brun des corps d’adultes.
Le matin (même quand il faisait encore nuit)
aimanté déjà par ce qui viendrait plus tard
tu descendais la pente courbe de la rue, sur le trottoir inégal,
sous les tilleuls ronds et soumis.
Il y a un bourgeon grand comme l’enfant entier
une enveloppe serrée d’écailles qui tient le corps si solidement, si violemment
prêt à l’éclatement,
mais qui est à l’intérieur.
Miel d’une poisseuse réalité en attente,
comme leurs corps bientôt se déferont, se reformeront.
Avènement des odeurs
signant dans chaque creux le printemps de l’âge adulte
et d’une nouvelle façon de regarder
de discriminer : tel humain, non pas tel autre.
Tout cela en germe dans ton petit visage, tes yeux d’eau, et cet acte si simple et répété : descendre la rue chaque matin, m’attendre devant la grille, les groseilliers à fleur
comme nous agissons, menés et libres
à chaque instant de notre vie.
CAEDERE
par claire le 2 juin, 2010
Tu peins
comme si l’air peignait
tenait le long pinceau
posait la couleur épaisse
et prenait la pose de ce corps nu écroulé
sur le lit devant toi.
comme si tu peignais l’air qui m’entoure
immobile
sans m’avoir jamais vue.
Comme si l’air qui entoure ton bras
contenait autre chose
que cette essence de la fatigue
qui fait la vie
qui fait descendre la chair
quand on est allongé quand on dort
ou qu’on se tient debout et droit
tout nu.
La chair descend vers la terre
vers les feuilles sèches
jonchant ton jardin négligé
l’architecture d’herbe vivante et d’arbustes
et la lumière à travers tout
pour atteindre l’enfant :
bouche accrochée au sein d’un homme
vieillard aux yeux de vague.
La chair forme les murs de ta maison
ton ossature parle d’une voix forte
et s’oppose, s’arrache.
tu peins la gravité où tout descend
tout est à demi-détruit
ou à demi-jaillissant,
érigé.
Comme les longues feuilles vernissées et vertes
au-dessus de l’enfant
qui dort à demi-nue
dans la lumière.
Tu exténues ceux que tu peins, pour que la vie descende
rouge et lourde dans leurs pieds, leurs mains
leur sexe découvert,
pour qu’ils oublient qu’ils sont nus
oublient leur honte d’être ainsi faits de chair cachée
et mortelle, sexuelle
aussi mortelle que le bout desséché des feuilles
au-dessus de l’enfant dormant
aussi mortels que ces choses émouvantes
à demi-détruites
de la décharge derrière ton jardin.
Aussi radieuses que ces cheminées parfaites
orange et dressées
contre le ciel gris.
Lucian Freud
T.G.V. I
par claire le 27 mai, 2010
le velours de fin de nuit
la main qui ferme la porte
et cette entrée dans l’air frais
dans le blanc du matin
une pellicule d’eau sur le trottoir.
prendre le train et traverser
de haut en bas toute la France, ses combes vertes ses petits jardin familiaux
au-dessus desquels descend en diagonale frileuse
puis se perd
le vol du papillon blanc solitaire.
voir les châteaux voir tous les gens
qui partagent sans parler votre espace.
et la fin quand tout se rassemble
dans la laideur expressive
des abords de la ville,
de la fin du voyage.