Claire Ceira

Chemin de l’Ubac (II)

par claire le 22 novembre, 2011

de l’autre côté
quelque chose coule sans bruit
dans l’équilibre des couleurs,
juste après le coucher du soleil.

tout s’est arrêté de croître et de changer :
les baies brillant dans le buisson,
le stade sur la droite
les feuilles et le long trottoir gris
où chaque pas s’ajoute aux autres.

l’air encore rougeoyant du soir
l’odeur des platanes malades
font un bain –
comme un corps
qu’on voit de loin et ne touche pas.

comme les corps bondissants des enfants dans le stade
éclairé déjà – cris bruns et rouges
courses puis arrêts, penchés en avant les mains sur les genoux, leur attention qui tourbillonne autour du ballon gris.

marcher, enfin invisible,
le long d’un trajet toujours le même
à la fin d’une journée de travail,
aller prendre le bateau.

Chemin de l’Ubac (exposition et I)

par claire le 28 octobre, 2011



Ce chemin existe vraiment, ici. En fait c’est une route, passant derrière la montagne de roches brutes, de maquis et de pins. Il est du côté nord, moins construit, moins fréquenté. Les pins sont plus hauts, les bruits différents. Les maisons en fin d’hiver portent des traînées sombres le long de leurs murs, sur leur crépi granuleux, comme si l’ombre s’y était déposée depuis toujours, car c’est le pays de l’ombre. Il y a plus d’oiseaux, moins de cigales, moins d’oliviers, plus de pervenches pâles au printemps, dans l’herbe haute. Sur le gravier des chemins encerclant les maisons, un peu de mousse s’installe, végète en été, veloute d’un vert intense les coins sans passage, après la pluie. Les gens aussi me semblent différents. Ils ont choisi de vivre ici comme dans un repli déniant la mer, un repli qui évoquerait plus une basse montagne. Leurs maisons sont entourées de plus d’objets négligés, il y a quelques caravanes moisies dans des prairies étroites, mais pourtant ils aiment être de ce côté moins recherché, dont ils aiment la semi-sauvagerie, la forêt plus vigoureuse, la protection en « zone verte ». Au fond, en contrebas, dans ce creux où nul ne va, encombré de ronces et de pyracanthas orangés, coule peut-être quelque chose, entre des contenants vides aux étiquettes illisibles.
C’est déjà loin de la côte et pourtant à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau. Mais quel oiseau ferait ce vol au dessus du Faron, quelle mouette perdue ascendante et criant devant le territoire intérieur ? Et quel cycliste gainé de couleurs vives, au corps vieillissant mais sec en fera-t-il le tour ?
Et moi quelle vie ai-je renoncé à vivre dans cet espace sylvien, reculé, épargné par la crudité des forces solaires, où le soir tombe vite, où l’hiver ressemble presque à l’hiver ?
Je l’ai pris en moi comme un territoire, où la moitié abimée d’un visage de pierre est déposée – se repose : la moitié nord.

I

c’est comme si je revenais
à moi. ce demi visage rayé
cette mousse noire
les pentes qu’on dégringole presque sans bruit
un oeil ouvert
allongé dans les feuilles.

et la source même où nous avions trouvé une boisson commune
dont l’eau dépose un peu de rouille
sur les tiges proches
l’eau pourtant continue toujours
nimbant d’odeurs de vase
cette tête
ou n’est-ce qu’un rocher ?

peu importe, c’est là que je reviens
et seule cherche encore : la hutte au toit de plexiglas rayé
donnant sur le ciel bleu très haut
un homme vieux qui ne sort pas,
examine
à sa façon de fouisseur, de rat
de quelle façon rien ne se mélange
tout est toujours juxtaposé.

C’est une pièce (2) : diptyque

par claire le 18 août, 2011

I
c’est une pièce

…..rectangulaire, étroite et nue. La fenêtre également étroite s’ouvre sur un pan de mur vert pâle, percé de deux ouvertures de petite taille. Aucun dehors n’est visible.
Il y a une chaise, une table et une sorte de lit brun, ou de grande boîte. Surtout, le carrelage ressemble, grège et quadrillé de fines lignes noires, à ces feuilles de carnets anciens, inutilisés, dont le papier aurait vieilli. La pièce entière ne contient aucune trace d’un occupant, elle semble attendre.
Si on y était enfermé, on s’assiérait je crois d’abord sur le lit, tournant le dos à la fenêtre, pour prendre la mesure de cet espace désormais à soi, de l’absence de tout élément naturel (à part l’air qu’il contient).
On serait vite saisi d’une force inconnue – vibrant comme une haine, mais sans haine. Celle du propriétaire d’un territoire sans borne, du récepteur d’une infinité d’histoires. Certaines venues du passé, et d’autres dont le germe remue, grouillantes, à peine perceptibles dans l’éprouvante absence d’obscurité.
On sentirait une joie pleine de peur et de douleur : la joie du retour au monde natal de la tyrannie, où tout se jouait.

(la pièce ressemble à une cabine de déshabillage, où l’on s’est assis dans l’attente d’un examen médical, encore en pleine santé, mais pour entrer peut-être l’instant suivant dans le territoire des malades : soumis, effarés ou stoïques, menacés de mort et sans prise sur leur vie. Elle ressemble à la chambre d’un internat, où l’on vous a fait entrer malgré vous : horaires imposés, douches communes. Elle ressemble bien sûr à celle d’une prison. On ne décide plus de ce que fera ce corps personnel qu’on a assis et qui attend, figé.
Très vite, on rassemble dans ce nouvel espace des capacités paradoxales, souterraines. Peut-être on se liquéfie, peut-être on cherche à revenir en arrière, ou bien on laisse libre cours à une panique muette, ou bien on hurle.
Mais aussi on commence à creuser une autre voie, nouvelle, une voie de patience, de face à face.)

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II
c’est une pièce,

…..ou plutôt c’est un passage, un large couloir. On se dirige vers l’angle qu’il fait, tout au bout.
En avançant, le côté droit du corps et le bras droit s’allègent, comme soulevés par deux grandes ouvertures, qui ne donnent sur rien de visible sinon leur propre arrondi, leur propre élévation.
Devant, sur le mur du fond, il y a un grand tableau rectangulaire, dessin ou peinture monochrome, dont le thème se devine à peine.
Peut-être ce sont trois personnages, dont deux sembleraient danser. Le plus grand, soulevé (lui aussi) et volant au dessus du plus petit, se penche vers lui. Le troisième est à l’écart, plus statique. Tous les traits sont courbes.
Le photographe, baignant dans la lumière faible, dans la couleur grège et granuleuse des murs, s’est sans doute arrêté pour prendre la photo. Il a bloqué un instant sa respiration, levé les yeux, l’esprit du tableau palpitant faiblement, au centre de son champ de vision.

(tu repenses à cette nuit douce et noire, à un concert dont les musiciens semblaient emportés par leur propre musique, martelée et irradiante, dans le spectre glacé des projecteurs.
Une jeune femme dansait avec impétuosité un peu plus bas dans l’herbe sombre, et un petit garçon sautait, tourbillonnant face à elle, et finissait par tomber à la renverse, gagné par toute cette ardeur. De temps en temps, elle s’arrêtait pour remonter son bustier, pour finalement s’asseoir sur le sol, tordant en chignon ses longs cheveux.
L’homme assis dans le rang devant toi se penchait en arrière, contre le dossier flexible de son siège, et son dos effleurait alors tes genoux.
Il y avait beaucoup de choses réunies : ce délire de sons, de lumières et de mouvements, la sensation chaude et immobile de ce dos…les limites du temps imparti pour cela.
Et puis les derniers accords, les applaudissements prolongés, et dans le calme revenu, le départ lent des spectateurs qui descendent des gradins, partent en petits groupes dans toutes les directions.)

j’écris parce que j’aime disparaître

par claire le 8 juillet, 2011

parfois quelqu’un vient prendre la place
il monte, soulevé du fond
poisson longtemps planqué
près de l’épave boueuse
il s’élève escorté de myriades.

il monte du noir
– de la nuit constante
par paliers vers la lumière cyclique,
le plafond brillant du haut.

c’est quelqu’un qui s’appelle « fond du monde ».
dès qu’il prend la place je sais disparaître
mes yeux savent perdre la vue
– il prend la main.

il m’est étranger
parlant dans son masque d’or
d’une voix caverneuse et molle
nostalgique
des branchies béantes, frangées, des poissons
des marnes, des mouvements froids ou tièdes

de toutes beautés dont l’inconscience est reine.

 

 

 

C’est une pièce….(1)

par claire le 8 juillet, 2011


    on ne voit que le mur du fond, l’ouverture d’une porte décalée sur la droite. Le mur est couvert de nattes déroulées, irrégulières.
Dans un coin, un téléviseur est allumé sur une image qui semble fixe, à côté une large chaise, avec un coussin, qui garde la trace d’un corps assis. A l’autre extrémité du mur, une petite table basse.
Debout dans l’embrasure sombre de la porte, un homme embrasse quelqu’un dont on ne voit que la main, posée sur son tee-shirt blanc. Les visages sont trop enfoncées dans l’ombre pour pouvoir être distincts. Finalement, on ne voit bien que le tee-shirt, ce qu’il laisse deviner de la position paisible, du bras replié pour atteindre le cou, ou l’épaule.

    On pense que c’est l’été, ce vide souple des jours d’été où la montre est restée le matin oubliée sur la table de nuit, où l’après-midi s’étire dans l’éternité. La maison n’a que le nécessaire, on peut y perdre son temps. Le désir est toujours lové derrière quelque rideau, quelque natte, dans un demi-sommeil animal. Le corps est tout entier tiède, et plutôt que du sang, c’est l’eau d’une mer intérieure qui pulse lentement dans ses vaisseaux.
On est soi-même tout entier un vaisseau, posé sur une mer intérieure, qui se balance à l’ancre. Et la maison est tout entière retournée en un voyage indéfini, comme si le monde était tatoué à l’intérieur de l’enveloppe du corps, avec cet inconnu si proche dont la main sur le corps se pose, s’appuie
enveloppe et intérieur baignés de la même nuit constante, dans l’éclat d’un soleil atténué.

(toute cette série est inspirée de photos de Christian Vogt : « Photographic Essays on Space ».)

à l’arrêt

par claire le 28 juin, 2011

Comme figées dans les ronces deux roues, un essieu
sous la pluie et dans le passé des virages,
l’haleine des villes, l’enfant courbé
depuis sa dernière fugue
dont on perce le secret.

Tu as trouvé une couleur hésitante, un horizon
la nuance du dévers des vagues sur le sable
pur et l’écume en dessins mouvants…
arcs posés sur le miroir, flous et tremblants

fugaces – ton pas interrompt leur recul.
tu t’adosses
à la voix criarde des oiseaux derrière toi,
tu lèves les yeux et te libères
des rêveries.

il faut être seul

par claire le 10 mai, 2011

J’ai vu tes armes
longtemps après que tu les aies posées
elles étaient là, derrière un mur.
Les armes existent plus que ce qui les entoure :
le mur, le sol de poussière et de cailloux.

Ce lieu indifférent
qui n’a été vu par personne
sauf peut-être par celui qui a construit le mur,
a regardé en partant
l’ombre diagonale que le soir découpait

et les ombres étendues à ses pieds
en parallèles grises,
venues des troncs des arbres proches, des hampes
perdues dans la douceur des herbages au printemps.

La rouille seule menace tes armes, qui naît de l’humidité des orties,
du mur.

arbre

par claire le 10 avril, 2011

Acacia fait d’arbre, aux cuisses disjointes
plus debout que moi dans l’air du soir d’or
à mi hauteur de ton violent tronc dansent
les moucherons.
Moi qui suis assise en dessous
les yeux levés je te fais mes adieux
les yeux sur ton écorce
je ne te verrai plus.
tout en haut, pas encore masqué par les feuilles
ce nid de pies
abandonné en mars.

Je vois avec quel oubli tu livres
au dessèchement tes branches basses
avec quelle ardeur tu disjoins
dans les ciel les cuisses
de tes branches
maîtresses.

Dans la perfection du ciel du soir
où tu étends tes doigts si nombreux
sont aussi visibles
toutes mes choses à jeter
les murs que mon regard atteint
et leurs fenêtres

tout est à quitter, ici.

Encre

par claire le 1 avril, 2011

le ciel et l’eau n’ont plus de limite ils s’étendent
transparents et
sans couleur

dessinent une ligne fine et froide
l’interface entre l’eau et l’air
que coupe le chemin des pas qui s’enfoncent.

il y a l’écriture des algues
spirales posées n’importe où
il y a l’épaule noire et la tête
sortant à peine de l’eau.

à être ainsi seul
on se voit grandir
dans l’heure qui contient tout
on l’emplit entièrement
errant à la limite des eaux.

l’horizontalité s’élève
écran pâle d’un jour sans règle
l’arrêt du soir
est suspendu.

la ligne à haute tension passe au dessus

par claire le 1 avril, 2011

Le long des grands fils tendus, lentement gouttent
les eaux de pluie, personne ne les voit
tandis qu’elles tombent et sitôt s’infiltrent
dans chaque motte terreuse, en mouillant les arêtes
des silex. La pluie se répète et descend
et dure ainsi le jour entier, le soir
le début de la nuit, puis s’arrête.
Et les longues portées des fils semblent prises
dans l’obscurité, nul animal ne fait entendre
le moindre cri ou bruit. Limites, buissons blottis
dans la nuit sombre, portant l’explosion silencieuse
de leurs feuilles : mille petits poings vert acide.
Moi j’ai glissé en esprit le long
de ces fils ténus, abritée sous un parapluie
gris, je portais de grandes bottes. Mais loin
de cet endroit-là, sous une autre ligne
qui lui ressemblait, sur un coteau plus rond
de terre calcaire – la pluie tombait plus fort
et si droit, et j’avais presque froid.
En quel endroit sent-on ainsi le temps ?

(en vers arithmonymes de 8 mots)