Claire Ceira

boues

par claire le 25 septembre, 2012

……

ce qui nous attendait s’est déposé : boues, cendre et mots perdus
au fin fond des actes.
des faits et gestes pressentis et non venus
des histoires cachées dans une pauvreté sauvage
plantée de buis sombres.

ce n’est pas dans une lumière d’été
ni dans la chaleur
d’une petite main qu’on tient en marchant

– toujours dans la paume de celles qu’on n’a pas touchées et leur température inconnue – ou flottant autour de ce corps, à jamais dans ce halo autour de ses mouvements
la houle lente de ses mouvements
qu’on ne voit plus glisser, sur la grève des yeux
remplis de mer.

ce n’est pas dans un monde d’enfant
c’est une chose de vieillard
de ce temps juste avant la mort.

quand les fonctions du corps une à une déraillent, que reste
intermittente, la flamme de conscience
– c’est juste avant de partir.

s’inscrit dans ce qui attend
notre corps, comme un lit occulte :
voix fluviales, extraits de corps morts
vase qui se soulèvera dans un dernier mouvement d’eau
tout au fond de la mer commune.

le corps mourant
touchant le fond élève
sa brune alluvion personnelle
puis dans un mouvement silencieux
s’allonge lentement – se repose.

pureté de l’eau noire, bientôt revenue
cristal de la nuit profonde.

Assise, embrasser

par claire le 14 septembre, 2012

les regards n’ont cessé de descendre
depuis l’esplanade pour se poser, mesurer
l’immense plaine en contrebas
or et brun.

la lumière n’a cessé
d’éclater de séparer
le ciel des murs de pierre
et les plantes des ombres.

les murs n’ont cessé d’enserrer
les maisons les petites rues, les églises
construites et peintes il y a longtemps, les gens
n’ont cessé de venir comme des fourmis.

et la terre a toujours tremblé
les murs ont croulé les plafonds fendus
laissant tomber à terre leur fardeau divin
d’écailles de peinture.

les fourmis ont toujours construit
leurs fourmilières, les hommes empilant
leurs villes neuves et leurs murs sur les murs passés
écroulés.

les gens n’ont cessé d’aller et de venir
sur la place haut placée que baigne la lumière du soir
les gens n’ont cessé de regarder en bas
et de se taire, embrassés.

Etre

par claire le 5 septembre, 2012

La lumière se répercute
sur les fleurs des cerisiers
le début du printemps coule
croule le long du ravin.

nous, nous fouillons les poches de la tristesse
son manteau brodé de métal terne
cherchant ses vieux sous
pour avoir quelque chose..

tenture

par claire le 11 août, 2012

c’est dans son épaisseur
(demi-voile, dévoilement)
qu’on peut vivre
tissé dans le temps, présent ailleurs
semblable aux mouvements qu’on déchiffre
dans les plis d’un rideau.

sanies
vin et pétales
pleuvent dans cette chambre,
leurs teintes riches, violacées
qu’on frotte entre deux doigts
donnent au regard du repos
– le bonheur crie au loin.

à demi-déployé dans le soir
tendu verticalement avec ses grands plis :
entre la dernière
et la prochaine fois
comme un album ouvert
la nuit qui sépare deux jours
un doigt qui marque la page.

son poids, ses couleurs brûlées
et cette verticalité de garde
pendent largement pour épargner l’intérieur :
un silence rempli de rêves
crépite.
(tout se transpercera
au réveil).

saisir alors le grand tissu,
le tordre et l’essorer
– pour voir couler le motif.

soleil (matin)

par claire le 17 juillet, 2012

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Séparations du sommeil

par claire le 4 juillet, 2012

tu dors de deux côtés.

dans le rêve
c’est l’automne
l’extrémité du boulevard,
et murs noirs, feuilles de brun rouillé
pluie – tout attend à cet endroit
la dormeuse d’autrefois
le vent, lavant les troncs
des arbres nus.

mais tu dors et
vraiment
dans la nuit
les mains du vent
travaillent ce pays :
grandes tables noires des pins
argent malléable des oliviers.

l’air baigne – envahit – le pays
sous le globe transparent de la lune
les premières traces de lumière naissent
au ciel
à l’est sur la facade des immeubles
et sur la mer d’un bleu cobalt.

jardin d’hiver

par claire le 3 juillet, 2012

donne-moi une virgule de haine,
ô déclic bien-aimé
fais jouer pour moi le pêne
vers le monde vitré
vers l’immobilité des plantes en attente.

entre les hautes parois, les traces de buée
une fin d’après-midi d’hiver
le dehors est saisi de froid.
j’ai le léger poids dans la main, métallique
l’éclat qui ouvre
la porte translucide.

la vie est ralentie, séparée de la mort
apparente du jardin tout autour .
espace fermé traversé de lueurs étranges
où les serpents des grands sansevieria
glissent et s’apparentent.

je t’ai trouvé accroupi sous la longue table
dans l’odeur de terre.
au moment où je t’ai vu – frère –
tu as renversé en arrière la tête,
dans un rire bref – un éclat.

C’est une pièce (5)

par claire le 29 mai, 2012

…..elle est entièrement vide, baignée de soleil qui dessine sur le plancher (ou le lino ?) le feston de l’ombre d’un toit. Il y a les murs blancs, les plinthes, le radiateur sous la fenêtre, un store avec une ficelle. Rien d’autre. La présence du soleil venu de dehors est la seule chose qui parle de mouvement, de changement, de temps. La pièce a été vidée de tout ce qu’y avaient mis ses habitants. Elle est entre-deux.
Peut-être c’est le jour de l’état des lieux, ce dernier jour où on revient avec le propriétaire, voir s’il n’y a pas de marque sur les murs, si rien n’a été abîmée ou détruit. C’est un petit moment de tension, on est entre gens polis, mais quand même, a-t-on dégradé ce bien qui nous était laissé en jouissance, cette enveloppe qui nous protégeait et qui nous avait été seulement prêtée ? L’argent est là, au milieu, et l’éventuelle dissimulation d’une négligence, la suspicion.
Tout cela empêche que ce dernier moment soit ce qu’il devrait être : un moment d’adieu à ce qui fut, là, vécu. La nudité de la pièce, déjà offerte à d’autres qui vont venir, vous tient à distance. Elle n’appartient qu’à elle, finalement : à ce volume d’air, à cette tiédeur de soleil, à cette beauté nue et banale, à tout son passé.

Cette nuit j’ai rêvé que j’étais morte. C’était arrivé dans une grande explosion de chaleur, de lumière, de violence. J’avais ce souvenir du dernier instant. Ma petite fille était morte aussi avec moi. J’étais là, sans être là, avançant au milieu des vivants, mes proches. Je promenais leur tristesse et la mienne dans la vie qui m’avait été ôtée. J’avais surtout le chagrin de cette petite fille disparue, que je cherchais peut-être, qui n’était plus là, et qui n’avait presque rien vécu.

bagnoles

par claire le 11 avril, 2012

un souvenir sans importance

chaque fois que je conduis sur une route à lacets je revois tes bras bronzés
tes ongles grenat un peu écaillés tes mouvements liés, ronds et amples
accordés à cette route sinueuse sous le ciel.
comme si ses courbes étaient les tiennes, tes bras et tes bracelets ses serviteurs,
tes gestes sur le levier de vitesse, rituel, cérémonie ironique.

le défi de l’horaire du dernier bateau si précisément rempli
et cette soupe de musique classique arrangée
que nous avons écoutée silencieusement avec toi
pendant ce trajet de trois quarts d’heure.

tandis que la route sarde grimpait et descendait
d’un flanc à l’autre des montagnes,
jusqu’au port,
quand la fumée très lointaine d’un volcan islandais
avait nettoyé le ciel de tout avion.

et ce ciel sarde était si pur, juste à l’extrémité nord de l’île,
où le dernier bateau faisait ses derniers préparatifs
(ton rire satisfait à l’arrivée, à 5 minutes près,
et devant mon compliment ta petite phrase française
sur cette route « terrible »).
j’ai oublié la tension mais
je retrouve tout cela à chaque route sinueuse
quand mes propres bras, mes mains, jouent à être toi – femme taxi.

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vanishing point

chaque fois que je conduis sur une route très droite,
je pense à lui, dans ce vieux film des années 70
le désert blanc de chaleur et de sel, les serpents à sonnettes,
deux yeux rougis d’amphétamines.

un barrage qu’on force, une radio où un vieux noir jubile
voix rauque et colère comme une nappe
de rire. puis un trou qui s’ouvre
dans l’écran éblouissant de l’horizon.

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tableaux

chaque fois que je rentre dans l’arrière d’un camion je vois son essieu
gris venir vers moi comme un tableau moderne
abstrait, posé contre un mur nu.
quand je percute un muret de ciment je vois les arbres noirs derrière
le gouffre offre un baiser silencieux
pour moi ou pour le ciel comment dire ?
et je vacille je tends à revenir en arrière
oscillant et vibrant encore
je m’arrache.

C’est une pièce (4)

par claire le 27 janvier, 2012

…..c’est un salon où il n’y a personne. Deux canapés différents, une table basse, des objets. C’est un jour de lumière blanche, et par la porte-fenêtre on voit un bâtiment un peu particulier, surmonté d’une sorte de tourelle couverte, aux fenêtres petites et alignées. Pour la beauté seulement ou pour le contre-jour, le photographe a allumé une lampe ronde, que nimbe un imperceptible halo, dans la forte lumière venue du dehors.
On y serait invité un jour, on s’assiérait sur l’un des deux canapés de cuir noir, le corps au début un peu raide, à cause de son statut d’invité, de la conversation à soutenir. Mais peu à peu sans doute, le plaisir de cette conversation commencerait à couler et alors on serait touché par l’arrangement de la pièce, beau sans affectation, et l’idée qu’on pourrait habiter ce quartier paisible, avoir tous les jours sous les yeux cette tourelle, cette maison voisine, au plan différent des autres.
On plongerait chaque matin les yeux dans les branches de l’arbre invisible qui se dresserait en dessous : bourgeonnantes, couvertes de feuilles ou nues, selon la saison, dont la photo ne dit rien. Le geste de fermer cette porte-fenêtre, on pourrait l’avoir en soi, dans le souvenir des bras, familier comme le grincement des deux battants qui s’emboîtent, de la crémone qui tourne. On pourrait être l’homme ou la femme qui parle, en face de soi, celui ou celle qui a choisi ces objets.

Une voix nous dit alors qu’on serait mieux que soi-même, et cette voix est l’assise de la tristesse, dans la réalité.
Cette conversation rêvée, cette voix intime qu’on connaît depuis si longtemps, le calme de l’image et du dehors lumineux, font le même halo que la lumière globuleuse et mate de la lampe, mélangée à celle du jour (extérieure, dans son plein essor)

On sort peu à peu de cette vision, de cette photo, pour revenir à la réalité.

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