Claire Ceira

rêve de la route et du mobile perdus

par claire le 10 septembre, 2013

Je dois à nouveau, après des années d’absence, allez travailler au CMP de D. , à une dizaine de kilomètres de l’endroit où je me trouve : j’ai des rendez-vous prévus à partir de 14 h.
Ma fille et un ami sont là, ils ont aussi une voiture et veulent visiter D., je leur propose de me suivre. La ville où nous nous trouvons est d’un plan compliqué, et je me rends compte que je l’ai oublié, bien que j’y aie vécu longtemps. Il y a peu de panneaux indicateurs, les rues sont sinueuses, beaucoup de jardins…. et j’ai oublié comment on la quitte pour aller à D.
Une première tentative m’amène dans un chemin de terre, il est évident que je me suis trompée (j’ai suivi les pancartes, mais je me souviens vaguement qu’il fallait d’abord aller en direction d’un village qu’on traversait, pour rejoindre ensuite la route principale). Deux noms me reviennent, je ne sais plus trop. Tout en roulant, je me rends compte que j’ai « perdu » ma fille et son ami depuis longtemps avec mes demi-tours successifs, et – avec anxiété – que je ne pourrai pas être à l’heure pour le premier rendez-vous. La route étroite, sans indications, traverse un paysage picard aux tons dorés et terreux, un peu sombre, une campagne profonde dans l’ humidité d’un début d’automne.
Je m’arrête devant une maison pour demander mon chemin. Il y a là une femme compréhensive, qui me donne accès à un ordinateur dans la chambre d’une adolescente, mais je suis de plus en plus anxieuse et confuse. Je voudrais appeler le centre, et aussi ma fille pour savoir où ils sont, leur donner les indications. Je m’aperçois alors que j’ai perdu mon portable, ce qui est tout à fait sidérant parce que je l’avais dans la main en entrant, je ne peux comprendre où je l’ai mis, il y a pourtant très peu d’endroits possibles, seulement le désordre sur le bureau. J’ai l’impression d’être envahie de stupidité et de honte, prise dans l’hostilité perverse des objets. Au bout d’un moment je le retrouve enfin, après de nombreuses vérifications : il a glissé verticalement, noir, brillant et mince, dans un tiroir. J’appelle le CMP, je leur demande de prévenir les gens du premier rendez-vous de ne pas venir….ils ne sont sans doute pas encore partis de chez eux. J’espère être à l’heure pour le second. Je me demande pourquoi je suis aussi angoissée, il n’y a pourtant rien de très grave dans tout ça.


quand on revient sur ses pas
on voit ce qu’on a aimé
on voit combien c’était inconnu
hachuré, ambré
mêlé.

la ville connue se défait comme un chignon,
écroule ses rues sur les arbres et les herbes,
ses voies s’ouvrent, coupures,
à chaque tournant.

et la peur vient :
– d’être perdu
d’avoir par sa faute perdu –
tout ce qui nous tient à l’abri
d’un Monde cru.

aller en avant
sans noms ni appareils
sans heure – et séparé
de ceux qui comptent pour nous.

comment,
comment pourrions-nous faire encore
ces choses qui nous protégeaient
de notre inutilité ?

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lieux (2)

par claire le 30 août, 2013

tu tiens ton grand manteau au dessus de ta tête
comme une montagne aux deux versants inclinés
tu baisses les yeux sous la grande lumière
qui nacre le mur derrière toi, si blanc
vibre mauve dans le ciel
et teinte de feu l’autre montagne
au loin, nue.
on voudrait baigner dans cette lumière immense
atteindre, après deux jours de marche
la montagne qui ne porte absolument rien d’humain
et rester, rester dans la lumière sans pitié, clémente.

mais on s’invite sous ton manteau
– on prend aussi de l’ombre.

lieux (1)

par claire le 30 août, 2013

On vivrait dans une maison mal foutue
posée au centre d’un grand terrain.
buissons d’aubépines partout
aux gouttes de sang rouge et noir en automne
et herses d’herbe couchée, mêlée de foin
orties aussi, lourdes de graines,
comme lances chinoises
comme prêtes à ensemencer la Terre, tout envahir ?

et la terre tassée, elle-même, irrégulière
ses chemins qui font un réseau
entre des fourrés laissés à leur liberté

rien ne serait fini vraiment
rien ne serait fait pour se voir
être vu, ou montré
sauf, en haut du mur de parpaings
la seule belle chose :
ces deux chiens,
de muscles et de poils et leur violente voix
saisissant saluant le passant.

Rêve des rosiers sous l’eau

par claire le 29 août, 2013

C’est une institution qui reçoit des enfants, avec une équipe de jeunes femmes gentilles et gaies, dont je suis responsable. Les parents amènent leurs enfants dans une première pièce, vitrée dans sa partie supérieure, et toute blanche. Un père accompagne son fils, il est très inquiet et veut s’occuper de tout, il est un peu irritant (mais je me dis que je peux le comprendre).

Il y a une autre très grande pièce, qui est aussi un jardin, et dont étrangement une partie est engloutie sous l’eau ; mais c’est plutôt comme si l’espace était divisé verticalement, moitié aérien d’un côté, moitié aquatique de l’autre, la limite qui les sépare est indistincte, progressive. Les rosiers le supportent très bien, on voit leurs roses de toutes les couleurs, modifiées par la transparence vert jade de l’eau, avec leurs pétales enroulés.
Dans la troisième pièce, le dortoir des bébés, sont installés à mi-hauteur des murs, dans un renfoncement, une série d’aquariums, dont l’un est beaucoup plus grand que les autres. Ils sont à sec, remplis de débris de plantes. Je dis aux jeunes femmes que ça ne fait pas bon effet, c’est un peu comme ces services chroniques d’hôpitaux qui sont dans l’immobilité, à moitié morts. Et puis pour les bébés c’est bien de voir des poissons qui bougent, leurs mouvements les intéressent, ils ne s’ennuient pas.
Je décide de nettoyer les aquariums, un des enfants du Centre veut m’aider, un petit garçon brun, très débrouillard, mais je refuse car je me dis que les aquariums pourraient se casser et il pourrait gravement se couper à ce verre lourd et tranchant.
Dans un coin du jardin se trouve aussi une sorte de mare trouble, dans laquelle on voit nager des animaux difficiles à identifier, un peu effrayants, blancs.
Dans le ciel au dessus, apparaît brusquement un aigle, qui rattrape au vol un autre oiseau et le saisit….mais quand il passe, on voit entre ses serres un petit hérisson encore vivant, dont ne dépassent que le museau pointu et les yeux brillants. Il n’a aucun moyen d’exprimer les émotions qu’il ressent, et c’est ce qui me semble le plus terrible, qui me saisit de pitié.

où vivent les enfants ?
ceux du premier âge
ceux qui sont confiés
et les grands
– entre maison et jardin.

l’eau de l’enfance
baigne toutes choses
autour d’eux, et leurs couleurs
nous les voyons aussi.

nos soins
centrés par leur fragilité
parce que leur douleur est un stylet
qui nous transperce

et derrière eux marchant
à leur pas
nous buvons le vin nouveau de leur treille
ces raisins qu’ils écrasent dans leurs mains
tendues et charnues comme des fleurs.

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rêve de la maison de retraite

par claire le 2 août, 2013

la maison de retraite, par derrière, est bordée par une sorte de talus haut et nu, argileux. Je me tiens debout à une porte, il pleut, et je me rends compte soudain que ce talus paraît creux, fissuré, et qu’il ondule, comme si quelque chose s’y déplaçait. Je suis inquiète : au delà de ce talus, je sais que se trouve le zoo. Soudain la surface du sol crève, et apparaît un crocodile qui rampe et disparaît aussitôt, couvert de boue. La pluie tombe en effet en rideau serré, et l’espace situé au delà du talus n’est qu’une fondrière trempée, pleine de traces de petits pas, ou de petites pattes. Je dois pourtant absolument la traverser, avec quelqu’un de plus fragile, qui ne peut aller vite. On me dit que dernièrement un enfant a été dévoré ici par un des crocodiles, qui se sont échappés de leur enclos, car le zoo périclite et il y a une grande négligence. Je suis d’autant plus indignée que je sais que ce sont des gens pauvres qui vivent là, et que la mort d’un enfant de cet endroit ne choque guère. Je parviens quand même à traverser l’espace dangereux, en courant presque, sous la pluie, avec la personne qui m’accompagne. On atteint un parking où des amis nous attendent.

les monstres des rêves
– les dévorations latentes –
de là où nous fûmes jetés
et rangés
nous regardons tomber la pluie
à l’abri d’un avant-toit.

la gueule profonde et rose
du petit crocodile en plastique
bordée d’un feston de dents

la terre comme un terrier, un tube boueux
d’où jaillit sous la pluie battante
ce qui fut si longtemps enfermé
rangé.

il faudra, il faudra bien traverser.

vieillir fatigue

par claire le 1 août, 2013

(à Cesare Pavese)

nulle dérive n’écarte plus les navires
des lignes tracées dans la matière salée de l’eau
l’artifice ne fait plus illusion, nul baiser ne révèle
dans la nuit du trou de l’oreille
ce qui viendrait retourner l’histoire
comme un gant.

entre les pommiers dont tu connais chaque fourche
le parfum de cire froide en automne
passe le regard.

– et puis –

devant les livres dressés sur les gondoles des hypermarchés
les fillettes qui semblent se dandiner sur leurs escalators
les foules et les pensées parasites
habitant l’esprit dans la lumière du jour
ou l’intimité de la nuit
grinçant crissant, craies impures

tu sens monter la fatigue
de toi et du monde.

rêve du travail ensemble

par claire le 24 juillet, 2013

Il vit dans un long jardin. Jamais il n’apparaît vraiment dans le rêve, c’est plutôt une silhouette, en retrait.
Au bout du jardin se trouvent des bâtiments, dans lesquels il entrepose tout ce dont il a besoin (et que sans doute il habite). En particulier, au fond d’une pièce peu utilisée, peu éclairée, il y a une étagère basse avec toute une collection de boîte plates de métal brillant, cylindriques, dans lesquelles il garde, sans marque distinctive, des vidéos, des films. Je suis surprise du nombre de documents qu’il a collectés, surprise aussi de la sûreté avec laquelle il va les choisir, comme s’il avait tout en mémoire.
Je travaille avec lui. Ce travail, ce qui en naît, c’est un plaisir profond, encore accru par le fait qu’il se fasse ensemble….il me semble qu’il n’y a rien d’autre qui puisse égaler cette satisfaction.
Une jeune fille passe dans ce jardin, elle est blonde, ses sourcils eux-mêmes sont dorés ; elle promène sa beauté, elle est avec lui, elle est en dehors du travail.
Une autre jeune fille apparait dans le rêve, aux cheveux châtain roux. Elle les coiffe d’un bandeau, utilisant pour les lisser en arrière le mouvement violent du vent. Elle dit naïvement : j’aime quand j’ai raison.
Sur un côté du jardin, j’ai creusé une tranchée, et j’y ai installé de grands tronçons de branches de cerisiers. Ils feront des racines, puis des arbres. Lui me fait remarquer que le dernier d’entre eux est trop proche d’un arbre déjà adulte qu’il va gêner, alors je l’enlève. Il en reste encore 5 ou 6.

le jardin est comme un sarcophage – il vire au vert tout entier dans le soir
où luit et s’ouvre
la boîte cherchée, et c’est ce qu’il fallait ce soir pour terminer.
la journée s’est passée comme les précédentes
calme sourde et féconde
et le temps est fécond – sans mesure et sans chiffre.

tout vient prendre sa place
dans ce qui naît sous nos yeux
le double regard suffit
pour trouver tout.

de même, dans l’architecture cachée du jardin,
dans les allées qui entourent les longs bâtiments
on plante et donne
à chaque espace son végétal
à chaque végétal une part de lumière, un trou.
et le temps ne coule plus
à cause de cette fécondité, de cette architecture secrète,
à cause de ce qui doit être, qui est.
le temps s’avance à son rythme.

rêve de la jalousie

par claire le 9 juillet, 2013

qui reprend après moi
le mélange des rêves ?

(Nevchehirlian : Dans le stade)

je suis amoureuse d’un homme. Il vit dans une grande chambre, dans une ville éloignée de chez moi. Je vais chez lui, en fraude, car moi-même je vis avec quelqu’un d’autre.
Sa ville, je la connais bien, j’y ai grandi, avec des ruelles tortueuses aux murs de pierre claire, et beaucoup de monde, des petits commerçants, des artisans. On dirait presque un souk. J’y connais encore des gens, je m’y sens chez moi (c’est Arles).
Pour aller chez lui je quitte l’autre ville, où se trouve ma maison ; c’est aussi une ville du Sud, aussi une ville blanche, mais presque déserte, une ville où vivent des gens plus riches. Quand j’arrive chez lui, le soir tombe, et, alors que nous sommes déjà dans des préliminaires amoureux, sonne son amie habituelle. Empruntée, niaise, il ne lui a pas dit de ne pas venir bien qu’il soit assez autoritaire avec elle, je ne comprends pas pourquoi. Nous nous couchons à trois dans le lit, je n’arrive pas à dormir, je suis déçue, contrariée.
Alors que je suis repartie, le lendemain, j’entends dire que des gens le cherchent, une sorte de milice qui fait régner la terreur dans la ville. Ils sont aux ordres d’un homme qui est jaloux de lui, à cause de moi. J’ai peur, je m’inquiète.
Puis j’apprends qu’il a été capturé, qu’on l’emmène avec d’autres prisonniers sur un navire qui fait la jonction entre les deux villes, par le fleuve. On me raconte qu’il protestait, mais que soudain il y a eu un silence inquiétant qui a duré plusieurs heures. En fait ils l’ont bâillonné, et lui ont brûlé les pieds, profitant du trajet où il n’y avait pas de témoin, l’emmenant dans l’autre ville riche et froide.
Je le vois plus tard, il ne peut presque plus marcher. Il me dit qu’il regrette le temps où il pouvait le faire, courir et bondir.

le fleuve fait le lien
entre deux villes
allers, retours,
dans la ville de l’enfance se trouve tout ce qu’on peut désirer
– et le danger.
dans la ville de l’enfance et du désir se trouve
la chambre en triangle
de l’insomnie

un chagrin une colère lasse
une rage fanée

dans le long voyage du bateau se trouvent
les représailles, les miliciens.

ô toi qui m’as sortie de moi
te voici maintenant enfermé
dans les extrémités brûlées
de toi.

rêve des générations

par claire le 8 juillet, 2013

Il s’agit d’une réunion de travail, une sorte de colloque. Il se tient dans un parc aux larges allées sableuses. Les participants doivent s’asseoir sur des chaises, de chaque côté, mais ils ne sont pas encore là. Je prépare les interventions avec une femme, bientôt va arriver la principale conférencière. J’ai prévu un topo, avec des paragraphes : I, II, jusqu’à V. On parle de la prise en charge d’adolescents.
La conférencière arrive, mais elle n’a pratiquement rien à dire et je suis frustrée parce qu’on ne me donne pas la parole vraiment, pourtant j’avais finalement eu beaucoup d’idées. Le dernier paragraphe s’appelait : « L’identité » et traitait de la façon dont la question des générations joue son rôle dans cette construction.

Ensuite, le rêve se transforme : c’est une réunion de famille, un repas dans une grande salle, qui est tout juste terminé : presque tout le monde a quitté les tables, on parle en petits groupes. L’ambiance est assez étouffante. Il y a là un adolescent, qui m’emmène au dehors, et je respire mieux dès que nous nous sommes éloignés. Il est tard, la nuit tombe. Il me conduit dans une sorte de petite maison de chasseurs, au bord de la forêt. Je me demande s’il va m’embrasser, me serrer contre lui. Mais je réalise que je suis plus âgée que lui, alors je prends simplement sa main aux longs doigts et l’embrasse avec douceur.
De retour dans la salle du repas, je discute avec des femmes. Elles m’apprennent, en parlant assez bas, que 5 bébés vont bientôt naître dans la famille : 4 sont les enfants de jeunes femmes, mais – c’est incroyable – le dernier est l’enfant de mon oncle et ma tante, qui ont plus de 75 ans. Ma tante enceinte est rentrée chez elle, pour préparer la naissance, on dit qu’elle est prête à assumer ce bébé tardif, mais pas mon oncle, qui est assis au bord de la salle, nous tourne le dos et semble accablé. Je me dis, en voyant de loin son visage très âgé, que je le comprends. Il craint de mourir quand l’enfant sera très jeune encore, de ne pouvoir bien jouer son rôle.


tout se mélange dans cet endroit
tandis que je repose, mon esprit dort et fait le rêve
dans l’endroit qui n’existe pas
règne une lumière latente.

parentés, âges de la vie
amours – amour
et moi qui bée,
retournée, remuée saisie
(béante remuée, saisissante)
moi qui me laisse faire
touchée
par tout ce qui surgit du torrent
bondissant de ses bords

…..auxquels
quand même
je me cogne.

membranes

par claire le 8 juillet, 2013

Sortis des lèvres brunes de la nuit
émergeant de ces lèvres
Gaspard, Luc et Rainer
t’entourent de leurs petits bras de coton.
Qui leur ôta la vie, les en priva ?

Toi qui portes tant de chair chaude
tu l’as enfouie dans le lit
tu rêves de soleil tu rêves d’eux….. rouge
ton sang irrigue le grand pays de la chair, silencieux.

Ils errent, sous la surface du temps – l’eau froide
sortant leurs têtes pâles et leurs courts cheveux
de l’eau du sommeil, et grandissant soudain d’enfant en homme
chacun à son tour t’encercle – chacun à son tour
saisit tes seins.
Ton rêve est centré sur leurs visages tristes
mais chaque fois tu te lèves et tu l’oublies.
Leur petites canines d’ivoire
grincent de chagrin.

Et toi tu regardes
souvent par la fenêtre
celui qui passe, de dos.

Le jour vitré perd sa substance, le vivant
boit la mort.

(le tableau est de Marie Hélène Biovir)