Claire Ceira

Le livre

par claire le 12 mai, 2014

la porte n’est pas fermée
laisse passer les sons
et aussi
vision étroite, furtive d’une épaule
d’un bras et sa main.
on n’entend que les bruits légers :
les mouvements du corps dans la pièce
un objet déplacé.

tu t’assieds
dans ce fauteuil à l’angle
dans la lumière de la fenêtre
qui donne sur un jardin.
lis-tu ? c’est le matin
la journée est comme une bulle offerte
où le temps ne s’écoule pas.
la lumière du matin de printemps
traverse les vitres, limpide
et baigne le livre blanc
ouvert sur ton genou.
je suis là, absente.

un esprit inconnu

par claire le 12 mai, 2014

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Limbes

par claire le 17 mars, 2014

1

parfois s’ouvrir – comme fait une écaille – dans des mains
paraître vraiment avec ses os, dans les lumières
qui balaient, en franges d’un bleu pers
– cils sur les yeux baissés –
le bord du tableau
violet et taché d’ocre

dans le silence, le long d’une main
dans l’eau
et sous la frange inférieure des arbres et leur ombre

…..

se voir maintenant détaché suivant un plan
qui monte et descend, celui des marées.
Je suis sur la plate-forme, perlée de vase,
ouverte comme un œil, béante
ouverte sur un dieu obscur
– dans l’oubli des heures, petite cellule
perdue sous l’œil du jour.

…..

Ayant renoncé aux os et aux coques, on voit bien clair tout ce qu’on a évité
ou perdu
on voit ce que jamais on ne voyait avant :
comment glisser du bord des pensées
ou des rives, pour s’évaporer.

être pareil à un enfant
sous le ciel blanc des pays durs.

2

quelque chose passe au bord des cimetières, que les enfants sentent.
ils ont leurs petits jeux, leurs pas sur le trajet, et suivent le bord du trottoir
où se tient un homme très grand – la lumière du soir glisse sur ses lunettes,
cachant ses yeux.
Les petits enfants n’ont pas de temps à perdre, un pied en haut
l’autre dans le caniveau mouillé
ils arrachent en passant des bouts de plastique
et glissent leur regard entre deux grilles,
glissent leurs joues entre le froid des tiges de fer,
l’eau coule sur les tiges noires.

l’homme pivote sur ses jambes, ne voit rien
de ce qui stagne ici au bord des grilles
sous leurs pointes et le long du ciment des tombes
ni le long des rameaux, des arbres nus, des écorces
il est perdu derrière ses lunettes (une seconde marquées d’or).

les enfants s’arrêtent
parlent entre eux un instant, puis partent.

3

on va ainsi, les yeux pris dans la beauté des lumières, dans le ciel comme une tapisserie pendue on a les yeux levés vers les arbres, leurs tiges fines, leurs rangées
comme des foules debout sur le fil de l’horizon, dans leur immobilité.

et je te retrouve toujours le long de la même route, soufflant sur la plaine, encore pris dans l’échange.
tu es comme une foule, venant depuis l’autre côté, dans des ondulations – passant le seuil.
martelant une pluie sur le toit de la véranda
tissé dans le fil du temps, dans les heurts des jours
tu t’introduis.

impression d’être couché sur le flanc – comme un navire s’étend sur le lit des sables
un navire étend ses jambes – dans son sommeil – laisse entrer
à travers chaque pertuis marqué de rouille le plasma des eaux (longues traces verticales, roux sur fond gris)
tu poses la main sur sa coque lasse.

l’eau-delà

par claire le 10 février, 2014

….comme je marchais sur l’eau, et qu’elle se froissait sous mes pieds
reflétant les remplissages de la nuit
j’allais très loin.

Traverser la pellicule
d’eau qui fine mouille l’horizon
ce n’était qu’une seconde.
Tous les pays du monde
avec leurs paysages absents et pourtant existants
s’étaient rassemblés de l’autre côté
l’eau des étoiles baignait l’air.
Je crois que les habitants des profondeurs montaient mais je n’en ai aucune certitude
car le noir était leur âme même
et ils ne me touchaient pas.

deux nuits..

par claire le 29 janvier, 2014

dans la combe passe le chat
la lune est pleine
il est allé d’est en ouest et maintenant recourbe
le long de la ligne d’arbres son chemin nocturne
il semble noir sur cette ombre ourlée de feu pâle,
pose ses pattes.

et là aussi je suis,
mangeant des pistaches et regardant « Faits divers », ce film de Raymond Depardon qui a trente ans
le regardant parler de son film, son visage lourd et honnête aux lèvres mouillées, aux yeux clairs.
il parle des policiers, de ce qu’ils ont craint de lui au départ.
j’écoute ce qu’il dit d’être transparent pour voir
du micro extraordinaire qui lui a permis de mieux entendre.
et je l’aime beaucoup, j’aime ses images vides, de voyage.

la lune aux trois quarts pleine
est à la fenêtre
si blanche, étincelante.
elle répond au film elle répond à la jeune femme morte, au code du Samu
charlie delta charlie.
et je pense encore à tant d’autres choses d’autres paroles et à d’autres silences,
la vie si pleine, quand on se recule un peu,
si vide aussi.

note

par claire le 24 janvier, 2014

traversée de la vallée de la Durance, en allant vers Les Mées. Au-dessus du fleuve plat, ramifié et large, sous le brillant soleil d’hiver – et devant la rangée de grands rochers pointus et granuleux, bruns – un vol de pigeons (sans doute) change soudain de direction, et ils passent tous ensemble du gris orageux au presque blanc.

todo cambia

par claire le 24 janvier, 2014

tout change et finit par se perdre
s’enfoncer puis se dissoudre
dans l’air variable et ce qui nous entoure.

l’ami imaginaire
devenu simplement réel – quelque part –
fait des gestes utiles, et pense des choses
et d’être si réel si loin
n’est plus là du tout, dans l’air du matin.

et le matin te semble un peu vide :
les carrés de soleil sur le carrelage roux
les joints gris.
tu restes un moment sans rien dire
tant de gestes – utiles – t’appellent
tu ne peux demeurer
(ici) plus longtemps

du coup s’affaiblit
cette limite entre jour et nuit qui t’avait semblé si vitale
baillant comme une porte, un seuil
tu tenais bien ouverte la fente.

tout se tait dans la lumière
blanche du jour
et ce qui est enfoui, caché
dans l’intervalle sombre entre les poumons :
nerfs et coeur, arbre des bronches
glissant battant fonctionnant
dans le couloir médiastinal
cela n’est-il redevenu
que de la chair mouvante ?

(Marie Hélène Biovir : « L’andalouse »)

chant

par claire le 12 janvier, 2014

je ne quitterai jamais ce monde,
les grandes plaines de lumière rasante
dans l’hiver commençant.

où les arbres allongent leurs ombres
si semblables à eux – il n’y aura pas de mort
l’ombre se déversera toujours sur le versant du talus
et découpera la route en segments,
l’ombre rampera dans les champs :
douceur de sa couleur, douceur miellée du soleil régnant.

je roulerai toujours dans la proximité du canal
qui s’approche et s’éloigne, avec sa double dentelle dressée
lignes d’arbres nus de chaque côté de l’eau verte
la route est longue, d’ouest en est
traverse le sud.

je suis tombée autrefois dans l’eau de la mer ;
elle s’est repliée sur moi, chuinte encore, là-bas où la chaleur garde ses poings serrés
je n’aime plus personne.

aller dans

par claire le 3 janvier, 2014

aller dans toutes les villes du monde, les faubourgs et les petites impasses grimpant à l’assaut des collines, escaliers, rampes de fer poli par l’usage, aller dans les boulangeries de villages, suivre des rives lissées de vase, boire l’eau des grandes métropoles – aller là où tu fus.

regarder le crépuscule, sur des parkings où les néons s’allument, tracés d’emplacements presque effacés, ou dans les parkings souterrains flambant neufs, entendre chuinter les roues sur le sol, regarder dans les rues d’un faubourg l’orange glacé des lampadaires, sentir le froid s’insinuer dans ses manches en sortant d’un métro, au printemps – aller dans tous les immeubles que tu habitas.
voir toutes les chambres où tu t’es endormi, depuis le seuil.

repenser à un film après quelques jours, au visage du petit garçon japonais, ses yeux comme des virgules noires, impassibles ou noyées, comprendre d’autres pensées, sans rien en dire, replonger dans des traces écrites du passé, les émotions qui le construisent – penser à qui vous a oublié.

après-midi (reprise)

par claire le 3 janvier, 2014

tu t’en vas dans l’intervalle
où vivent les faunes
bruns, assoiffés
chevelures mêlées de terre
flûtes désaccordées.

tu vois leurs yeux presque fermés,
leurs grands corps au repos dans les arbres
attention toujours dardée
vers le bruit des feuilles et des herbes
semi-sourires.

tu sens comme ils te comprennent
– frères de lait –
accorde-leur, tigrés d’ombre
toute une après-midi d’été
laisse-toi toucher.

Vois, depuis ta solitude
la longueur de leurs trajets.

et quand ils s’endorment dans l’herbe
les mouvements nés de leurs rêves
flottant sur leurs corps repliés.