matières premières (r)
par claire le 7 juillet, 2015
étrangement
appuyé sur le plus désincarné :
signes blancs sur fond bleu
signes noirs sur fond blanc
traces, souvenirs de mouvements des doigts
émanations d’esprits silencieux
rompus
depuis longtemps à l’exercice, à
la souplesse de la sortie de soi.
tracté par la beauté
comme la basse plume d’un ange
on trouvait d’abord le corps
le sien traversé d’échos souterrains
– envahi ou soulevé ou décalé ou traversé –
celui de l’autre deviné
avec presque autant de précision
(semblait-il parfois)
que si on avait la main posée sur lui.
aimant
par claire le 7 juillet, 2015
on n’y peut rien si on se tourne de ce côté-là
rien n’y fait.
on tapote le cadran et le secoue on lui fait faire des tours
mais boussole en plastique on reste et dès que posée sur la table
elle se remet dans l’axe montrant le pôle avec ses derniers ours blancs
errants dérivants et ses dernières glaces
l’endroit où on n’ira pas
teintes pâles vertes presque vénéneuses violets clairs gris plombés et l’eau lisse
comme huileuse et le trou dans la glace
et une vague lueur de soleil le trou sous lequel nage
encore entier, un phoque gris.
puisqu’on est là, agenouillé avec le harpon
on voit ses mouvement si lisses, si lents, et la splendeur de sa fragilité il rêve
il vous porte dans son cerveau d’animal, ne s’éloignera pas
même s’il fait un cauchemar de vous un cauchemar de chasseur seul
au bord du trou dans la glace harpon bien tenu dans la main droite ou gauche
qui ne pense pas
au moment où il le lancera
la glace changera de couleur.
objet sans valeur
boussole
sous le ciel nous sommes
agenouillés au bord de ces trous-là
car il n’y a personne qu’on puisse
tenir tout le temps dans ses bras.
été
par claire le 6 juillet, 2015
quand il fait très chaud, le buisson se penche autrement
sur le bord de ton chemin.
comme s’il se renversait, se renfermait dans son ombre, plus dense, brune
contre l’éclat, la dureté de ce monde.
tu sens l’envahissement du corps,
cette eau haletante
et le sol paraît un socle posé sur un autre espace.
espions de la réalité, pas tout à fait dupes
nous y étions toujours en chemin.
…
quels codes avions-nous pour dire
ce qui se passait vraiment ? la sympathie des encres, leurs nuages
c’était toujours à reprendre, mais toujours là au bord d’une disparition.
je vais, je vais dans un excès de lumière
les cigales remplissent l’air des hachures serrées de leurs cris
je ne vois plus rien derrière les troncs tourmentés.
jeu de s
par claire le 24 juin, 2015
cistes secouant leur baume sous l’éternel suc du soleil
et attachés à la secousse ancienne des schistes qui surplombent la mer
symboles secs et collants du sud – son silence bleui, son odeur
l’eau vous pourrirait le pied.
solitudes (autrement)
par claire le 23 juin, 2015
J’ai pris un livre à la bibliothèque, il s’appelle « solitudes ». Beaucoup de photos en noir et blanc, quelques textes. La solitude que montre ces images est dure le plus souvent, mais parfois c’est celle du pêcheur à la ligne au bout d’un quai, parfois celle d’une fillette dans une cour. Je me rends compte que ce qui est beau n’est pas la silhouette humaine, ni le sentiment qui vient en la regardant.
La beauté est dans le jeu des noirs, blancs et gris souvent flous autour d’elle c’est là qu’est le sentiment. Ce mur aveugle, cerné d’un treillis de bois, où se dessine exactement le contour d’une maison, comme celles des dessins d’enfants. Mur trop blanc pour le reste de la photo, et où les pluies ont laissé deux trainées de suie verticales. La cour devant, où un homme marche, ou bien ces deux branches feuillues, floues, en contrejour devant la fillette.
Les graviers surexposés autour du banc d’un clochard mangeant son yaourt.
Et aussi la position particulière de certains corps sur le sol dans l’espace public de la rue. Sur un banc, une vielle femme avec ses cabas. Contre les pilastres d’un pont un jeune homme, allongé, accoudé au sol.
Aucun ne semble avoir atteint l’écrasement d’un corps presque mort, chacun semble encore penser, pensif….
Petits chants
par claire le 16 juin, 2015
1
Petit-désir est derrière nous
blotti contre le dos aveugle
un visage de faune enfoui
dans l’embrasure de l’épaule
les yeux clos, respirant
au ras du muscle trapèze.
Petit-désir appuie sa bouche
contre la peau et l’os sous-jacent
serre ses bras autour de la poitrine
gêne – si peu – notre respiration.
parfois on prend dans nos mains ses mains
aux ongles fendillés, et froids
mais c’est notre désir
– c’est nous –
nos mains ne tiennent rien du tout….
Tout est imaginaire et postérieur, éternel.
Petit-désir chante un air
qui vous prend la tête.
2
Petite-désire dort loin
ou peut-être elle a perdu la vie
elle court en dormant dans des territoires
où elle est seule ses mains rament dans l’air
ses cheveux font une toile
devant ses yeux fermés.
elle fait exactement ce qu’elle veut sa voix est fine
elle a tué cruellement un escargot, un jour où elle était
envahie par le mystère sexuel.
quand elle n’est pas seule elle est soumise
elle ne court que dans ces territoires.
3
lui et elle
l’imbriqué et l’exilée, leur duo
une colonne d’eau dans leur bassin
leur donne ce qu’ils boivent et ce qui les baigne
ils dorment ou parlent
dans la bizarre chute du jour
elle ne peux tarir
ne peut cesser
ni de se dresser ni de refléter le ciel.
verticale
près de leur union
horizontale là où ils flottent toujours
livre
par claire le 16 juin, 2015
si j’ouvre le livre à une page au hasard, et si elle ne porte aucun signe
alors je suis du bon côté, dans le bon pays pour écrire
la fente d’ombre au milieu,
rectiligne
l’épaisseur de ce qui n’est pas lu, des deux côtés
il faut s’enfoncer dans cette ligne d’ombre
entourée de deux plages de neige.
c’est là que je marcherai, là seulement je te verrai peut-être venir de loin
un seul visage – une seule démarche – une seule façon de sourire
le livre est celui qui contient quelqu’un,
toutes les pages sont l’histoire d’une compréhension
l’histoire de la lignée, de ses ramifications
l’histoire du passé avec ses images et ses immenses trous d’oubli
du futur inconnu.
le livre est un pays, les bords des pages des frontières.
les innombrables signes sont tes coutumes, le goût de ta nourriture.
le livre est le pays d’un seul habitant.
devant moi, une ligne d’arbres aux branches remuées par le vent
une vieille femme en rouge vient vers moi
son chien en laisse.
la cloison
par claire le 16 juin, 2015
C’est une maison coupée en deux, au milieu. Entre les deux parties il y a une seule porte.
La maison est belle, avec la lumière qui vient en oblique, qui entre par les hautes baies. Elle est dans un jardin, il y a une grille sur la rue.
Tout le monde est passé devant une grille comme ça, devinant des arbres derrière elle.
La partie la plus lumineuse de la maison j’y suis souvent, souvent seule, j’y fais ce que j’ai à faire, j’y prends du temps.
Avant je passais la porte intérieure, mais depuis peu elle est fermée. Dans la moitié arrière de la maison, je ne peux plus aller.
Elle donne sur le côté le plus ombragé du jardin.
3 poèmes
par claire le 8 juin, 2015
1 : deux temps
la beauté de la rangée d’arbres
quand on conduit avec le soleil dans le dos
sur une route un jour d’automne
rayons rasants, troncs droits
tous alignés, élevés.
on suit les courbes, les plateaux et les collines
on descend dans les fonds.
on ne peut pas écrire le poème parce qu’on conduit
les arbres luisent dans le soleil derrière
avec leur rectitude et leur monotonie (parce qu’ils ont été plantés ensemble)
mais quand même leur beauté :
arbres, images d’arbres sur le ciel veiné.
la route est grise et suit une courbe tracée depuis des siècles.
On atteint les faubourgs, l’hypermarché comme un grand corps inconscient, vibrionnant
on descend dans la ville
maisons, briques semblables aux points d’un tricot
on arrive en bas de la rue
dans la maison où l’on peut écrire.
on voyage dans le mouvement des mots.
.
2 : esprit
je progresserais,
les bottes depuis longtemps remplies d’eau
aspirées par la boue
voûte au dessus : feuilles, branches, lianes
pluies brutales et cris – de nuit et de jour.
les herbes m’auraient coupée, brûlée, salie de leur jus
enfermée
m’auraient envahie de l’odeur de leur pourrissement.
animaux grands, munis de dents, ou furtifs, petits, parasites
ils auraient été inconnus et indifférents
(se seraient glissés dans mes vêtements, même sous la peau
m’auraient piquée seraient morts dans ma sueur).
sans savoir où aller, où dormir
(ni le haut des arbres
ni le sol spongieux ni aucune cabane
ou tente ou espace sec au pied des grands arbres).
titubante et avançante
tournant en rond dans la chaleur étale, la vapeur des jour et des nuits, la pluie tombant jour et nuit.
aucun fruit n’étant sûr, et les provisions réduites.
ainsi menacée de mort, et perdue
alors derrière les arbres
l’esprit saurait toujours comment s’élancer
grimper et voler
l’esprit, saurait toujours où je me trouve
et la lisière verte – la grande route
qui mène au village de bois, au feu de fumée.
.
3 : espaces
sur le drap blanc du monde. sur le lit
dans le cadre de la fenêtre. dans la plongée de la fenêtre
encerclée.
sur le paysage.
et dans le paysage ce mouvement
d’une ligne d’oiseaux, qui s’en vont.
sous mes pensées. sous mes rêves
sous mes paupières
dans ma cave éteinte. dans le sens de mes rêves.
dans la sonnerie de mon réveil. dans le clou du moment de mon réveil.
dans la réalité de la chambre.
en haut de la rue. en haut des mâts, vibrante
électrique comme un vent froid
en haut des mâts sans drapeau
dans une chanson chaude.
dans ce qui est dit. en dessous de ce qui est dit
dans l’arrière-cour
dans la coupole mouvante du diaphragme, quand on parle
sous le corps, derrière les corps appuyés
dans le volume des pièces.
dans – et sous – l’absence,
toujours un peu en arrière
dans cette pièce
et
à travers l’espace
dans cette ligne d’oiseaux.
le vent
par claire le 8 juin, 2015
mes gestes font un creux dans la vie du monde
mon doigt appuie et le voyant clignote
je tourne le volant
la voiture creuse un couloir
dans l’air de la ville, les sinuosités des rues
et le vent sinueux s’obéit à lui-même, là-haut
au-dessus de moi. sa main fait jouer la branche
les brindilles et les feuilles.
le ciel est bleu dans le couloir de mon trajet
que survole le trajet du vent
entre les falaises de murs
gris ou fraîchement repeints de roux
– le peintre a changé le monde
sur son échafaudage en quelques jours
c’est comme un creux
le chemin qu’on ne parcourt pas
le temps qui ne reste pas.
le monde est un grand couloir coiffé d’azur tiède
les voix sont là.