Claire Ceira

sol y sombra

par claire le 18 juillet, 2016

De l’autre côté du lac
le soir s’avance
les vaguelettes là-bas sont plus douces

les pédalos ne bougent plus.
Ici, où nous sommes bien vivants,
chaque caillou s’appuie sur son ombre
comme une petite foule arrêtée
en croissant sur le bord de l’eau
brillant d’un vernis humide.

J’ai tourné ma chaise de côté
le soleil finit de dorer la page
de ce livre où je lis quelque chose qui me réjouit.

Des nouvelles venues de l’autre côté,
il n’y en a plus
et c’est normal puisque l’ombre
y a tout changé en presque nuit.

Bientôt je vais fermer le livre et rejoindre la maison
avec ses murs et ses portes,
la délicate pellicule des vitres
où le couchant peint un tableau éclatant.
La maison est encore au soleil,
dans la nuit elle allumera d’autres lumières.

Mais près d’elle
ce lac
partagé d’obscurité.

True love waits (d’après Radiohead)

par claire le 27 juin, 2016

le vrai amour attend
près de la rivière
près du lavoir où personne ne lave
et où les algues laissent aller leur cheveux verts dans le courant.
le vrai amour ne peut aller nulle part, il est de garde
il faut qu’il puisse donner à boire, baigner.

il veille en haut de la grange
près du trou dangereux où on bascule le foin
mêmes grains de blé oubliés
même nourriture de poussière
le vrai amour n’a jamais trop chaud
il flaire l’odeur qu’on aime.

le vrai amour vit dans sa propre maison, rivière, grange.

maison folle

par claire le 27 juin, 2016

cela
vous fait entrer dans la folie du monde
pencher la tête du même côté que l’arbre
et sentir le vent du désert qui ruine les canaux des feuilles.
c’est se sentir suspendu
sans sol ni jambes
tentant de s’allonger de tout son long sur ce courant qu’on ne comprend plus.
le cadenas de la petite clef familière on l’a perdu depuis longtemps
le vent ne s’ouvre plus à cette porte-là.
il souffle seulement à l’intérieur
il tourne et tourne dans la maison imperméable
arrache les tableaux des murs et ouvre le lit,
ne fera pas le tour de la terre.

elle
coincée dans la cheminée,
en haut du toit brandit la clef d’un coffret dérisoire,
noire de suie.

nocturne

par claire le 11 avril, 2016

il m’arrive d’écrire encore dans ma tête, car rien ne remplace pour moi ces lettres, leur voix intérieure, leur appel vide. et rien ne remplace l’attente vide, sa puissante densité.
je ne les adresse pas, il n’en est plus question.
ce serait absurde et je suis allée loin dans le beau pays de l’absurdité, allée et revenue.
et je me repose dans l’oubli de cette question. dans ma patrie non-absurde.

mais je suis amputée, c’est évident, du membre fantôme
irrigué de ce courant-là.

je suis dans cette pièce où quelqu’un dort. la ville est tout autour – après la pluie, la nuit. tous ces kilomètres que je fais, pour voir mes enfants, mes amis.

j’ai moi-même fermé la frontière trouble
pour le temps de cette vie.
je ne reverrai plus jamais la maison des origines
ni les longs jeux dans le soir
ni ceux que j’ai suivis, d’île en île boueuse, et sans me laisser voir
ni la voix qu’appelaient ces lettres.

jardin de nuit (r)

par claire le 15 mars, 2016

du haut de l’acacia descend son odeur
suave sur le jardin entier
les murs de briques
le lierre

elle pénètre
tous les toits entrouverts
(velux éclairés et fenêtres)
avec le cri répété d’un bébé
qui ne dort pas.

nuits serties d’or
en chaîne longue
intercalées de jours et si noires
ou marines – long serpent
collier autour de la maison.

quand la chaîne
un jour ou une nuit casse
où va ce que nous avions
si subtilement exercé ?

octobre (r)

par claire le 8 mars, 2016

parfois je pense que je n’avais pas le droit
parfois je me dis que tout s’est déroulé à l’intérieur
et que la pluie les larmes étaient pour les autres.
leurs jouets de plastique de papier de bois et de verre
leurs bijoux leurs touchers leur colère pareille
leurs possessions et même leur désespoir
j’ai eu en abondance le droit de les regarder de les voir.
j’ai mené la petite barque dans le fleuve limoneux.

ces idées d’automne
je les chasse

il y a des évidements
la vérité creuse des galeries dans les rives.

quand ça tombera je grandirai soudain
comme une tour encore très loin
au dessus des quartiers des canaux des jardins ouvriers
plus haut que les immeubles
et les oiseaux me toucheront
dans l’isolement d’air libre
nuées blanches et grises, bleu.

l’épreuve

par claire le 8 mars, 2016

ces frondaisons contre le ciel/ qui n’étaient pas là hier/ regarde par la fenêtre/ la lumière a baissé d’un cran/ bientôt on prendra la route qui mène au tunnel / et qui grimpe tellement/ qu’on a mal dans les cuisses/ et à l’intérieur de la poitrine/ à la recherche du souffle – sans repos et sans halte.
on voudrait l’éviter/ surtout à cette enfant tenue à bras/ qui aurait dû rester dans sa chambre/ pleine de jouets/ dans sa vie où les visages se penchaient, radieux/ et qui affronte avec eux cette pente trop dure/ pour les adultes/ qui pleurent en se cachant d’elle.

je m’aperçois que ce poème pourrait parler de réfugiés mais c’est une toute autre histoire l’histoire d’un malheur qui vient de pénétrer dans la vie d’une petite fille.

et c’est ainsi que se rejoignent tous les paysages si on se donne la peine de les peindre.
tous nous avons connu ce noir pas du tout velouté ce noir glaçant
et l’incertitude finale.
tous nous avons maudit la gravité qui nous écrasait et les branches
basses dont l’été a ôté toute vigueur, si sèches, sèches
et le ciel d’un blanc plâtreux.
nous savons que nous ne savons pas comment vivre l’épreuve
l’échange des chagrins qui passent
par les même canaux que l’amour.

grave (reprise)

par claire le 4 mars, 2016

j’allais le voir en voiture
j’allais voir ses cendres
son nom sur le monument au mort
j’allais voir ce qui restait de son esprit
dans ce pays de vignes
dans l’après-midi orangée,
dans le rétroviseur.

et toutes les routes s’ordonnaient
et tous les fleuves passaient s’inscrivaient
sur le monument aux morts
et cendres cendres dans l’après midi turquoise-orange

tous les châteaux toutes les guerres
bitume et cendres et fin de tout.
et tous les voyages

vers lui vers son esprit jamais,
jamais absent.

la limite

par claire le 27 février, 2016

te voila qui reviens
dans cette assemblée
dans le parc qu’on a toujours connu.

les gens parlent entre eux, et toi, au bord du bassin
tu montres une chose à demi-transparente
comme un simple secret.

tout ressemble à une photo, un peu grise, manquant de contraste
même ce mot que tu dis : non
ce que vivent les gens. l’assemblée sans but
et moi qui tourne au ras des arbres.

une fillette est debout
à côté d’un homme
bien plus grand qu’elle,
ce désir d’être vue,
et le soleil voilé qui bouge
allume, éteint les ombres tout autour.

c’est l’été les corps sont peu vêtus, on pourrait presque toucher
cette plage lisse, à la racine du cou.

sous les doigts la boîte s’ouvre
avec un petit morceau de plastique
ou de cire rouge qu’on devine au centre.
je t’ai posé une question sur cet objet rouge
à laquelle tu n’as pas répondu.

ailleurs,
dans le fouillis des grands arbres, le domaine de l’odeur
terre et lierres, sécheresse de feuilles
gardant l’humide sous leur lit
c’est là qu’on contourne les troncs
qu’on s’enfonce toujours plus loin, plus seul.

ruelle intérieure

par claire le 22 février, 2016

ruelle intérieure
lumière,
petite voie trouée
derrière le carton d’une journée sans grâce
l’échappée d’une rue étroite
qui descend en tournant
et dévide son ombre

vers un quai ou vers une place,
c’est égal.

le sol est toujours malaisé,
les murs toujours irréguliers, trop hauts
pour qu’on voie les jardins
et l’après-midi toujours chaude, silencieuse.

qui marche près de toi ?
qui ressent les mêmes choses ?

la rue garderait la mémoire de tous les enfants qui l’ont dévalée
de tous les cris de toutes les pluies
comme une ouverture se découvre en tournant,
en descendant.

on n’est pas encore arrivé
les écailles des murs font des cartes de géographie
de pays que personne n’imagine.
et là-haut
contre le ciel bleu roi
tu vois cet arbre comme un dessin
une encre.