Claire Ceira

mémoire noire

par claire le 17 janvier, 2022

Dormir. Depuis quelques années, dormir ou ne pas dormir n’était pas si séparé, il y a avait des entre-deux, de longues flottaisons. Etre allongé dans le noir absolu était devenu une condition nécessaire pour glisser lentement, comme de côté, dans l’eau trouble du sommeil et y disparaître. La moindre source lumineuse, celle par exemple de ces petits veilleurs rouges qu’on ne peut éteindre sur le téléviseur des chambres d’hôtel, gênait le glissement. On jetait un vêtement et l’oeil rouge disparaissait. Présences muettes, à demi-vivantes, les appareils électroniques semblaient les sentinelles d’un monde où l’on ne dort jamais, ne devrait jamais dormir. Les héroïques petites présences électroniques, prêtes à s’éclairer en pleine noirceur d’une vague lueur spectrale, nous rappelant qu’ailleurs, d’autres ne dorment pas, pourraient tenter un contact. Alors ils fallait les enfouir, les aveugler, les réduire au noir

A cette condition s’installait un autre monde, obscur et primitif, vieux comme l’origine, comme ce qui entourait le sommeil de nos ancêtres quand ils s’enfonçaient dans leurs grottes, fuyant l’éclat des étoiles, des dernières braises.
C’est l’ancienneté de l’obscurité, sa parfaite similitude avec celle que nous connaissons depuis l’enfance, qui aide à dormir. Le noir inchangé, que nous avons appris à ne plus craindre, avons
même appris à aimer, refuge sans limite et clos à la fois, ne demandant rien, silencieux.
Dans cette immobilité, enfin libres, nous avons pu – d’aussi loin que porte la mémoire – laisser venir les images internes des rêves, floues et vectrices, nous avons même pu cesser d’exister, sans crainte.

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