Claire Ceira

Séparations du sommeil

par claire le 4 juillet, 2012

tu dors de deux côtés.

dans le rêve
c’est l’automne
l’extrémité du boulevard,
et murs noirs, feuilles de brun rouillé
pluie – tout attend à cet endroit
la dormeuse d’autrefois
le vent, lavant les troncs
des arbres nus.

mais tu dors et
vraiment
dans la nuit
les mains du vent
travaillent ce pays :
grandes tables noires des pins
argent malléable des oliviers.

l’air baigne – envahit – le pays
sous le globe transparent de la lune
les premières traces de lumière naissent
au ciel
à l’est sur la facade des immeubles
et sur la mer d’un bleu cobalt.

10 comments

« et murs noirs, feuilles de brun rouillé
pluie
tout attend à cet endroit »

c’est beau, comme de la musique…
ce qui semble frôler/toucher au rêve me touche dans ton poème que j’aime beaucoup, peut-être aussi parce que je suis à dormir, d’une certaine manière (?),
et en même temps, j’aime peut-être un peu moins les 5 avant-derniers vers, glissants, non, plutôt lisses, d’un effet carte postale et je ne sais pas très bien comment te transmettre mon impression… mais vraiment tout le reste j’aime beaucoup, oui.

by cat on 12 juillet 2012 at 17 h 39 min. #

Merci cat de ces remarques comme toujours très justes, très intuitives. Cette impression que tu décris touche pour moi le sens même du poème, sa question latente. Parce que je vis maintenant dans un endroit très beau, « carte postale », oui, et c’est là que je dors.
Or je ne peux presque plus écrire, et je suis saisie de cela, comme si le point de départ de l’écriture était pour moi forcément caché dans un lieu bien plus obscur, humide et triste ou au moins nostalgique. Que c’était là seulement que je peux toucher cette vérité qui « n’est pas à dire » de la poésie.
Comme la beauté carte postale t’a un peu gênée, peut-être faudrait-il que je grossisse le trait, que je sous-entende une distance entre elle et moi, mes réticences en face d’elle. Mais je me dis que ce serait épargner au lecteur le partage de ma propre ambivalence face à elle. Or je ressens aussi comme un manque d’ouverture ma difficulté à me laisser complètement saisir, toucher par la beauté méditerranéenne, comme quelqu’un d’un peu rat qui regrette son trou.

Pour dire les choses tout à fait autrement, je viens de lire quelqu’un qui disait : « l’art occidental est basé sur la séparation » ou même « l’art occidental célèbre la séparation ». Peut-être une part de moi se cramponne à ça, à la douleur exquise de la séparation, refuse le « bain ».

by claire on 13 juillet 2012 at 13 h 05 min. #

si tu te souviens de la série « Chemin de l’Ubac », c’est ça aussi. L’Ubac c’est le versant nord, plus fermé, plus sombre.

by claire on 13 juillet 2012 at 14 h 02 min. #

ha voilà donc la véritable nature de ce poème… ou plutôt son cadre – merci pour tes explications éclairantes – alors peut-être attendre que le cadre impreigne (empreigne?) davantage et je vais te relire bien autrement, mais j’entends bien ta réticence puis … il me vient à l’esprit que c’est peut-être une question d’abandon, du refus même de cet abandon « dans la lumière de la méditéranée » (médite-terre-année) …quelque chose m’amène à te « voir » un peu comme un diamant taillé qui refuse obstinément que lui ait été retiré sa chape – il me vient plein d’images – pourtant que la beauté, le rayonnement n’effacent ni ne dissolvent sa nature (ou les parts de toi); au sortir de la grotte le protagoniste a le réflexe de vouloir s’y ré-enfouir plutôt que d’apprendre à étirer son corps et à vivre sous le soleil…non? ha! la transformation…! et trop de choses dans ma tête !!

sinon, oui, sans doute appuyer véritablement, complètement, résolument et découvrir ce qui arrive, ce qui commence – comme dans la citation de Miron!
(oui, l’Aubac était l’autre versant, je le sens bien)

by cat on 13 juillet 2012 at 16 h 07 min. #

pour compliquer encore les choses : le poème d’avant (jardin d’hiver) parle aussi de ça, autrement. C’est dans le jardin d’hiver, sous la table, dans l’odeur de terre qu’on a rendez-vous avec soi, mais un autre-soi, qu’on salue. Et dont partout ailleurs on est séparé. Je redécouvre en te le disant le titre du poème (cette histoire de séparation), que j’ai eu du mal à trouver, d’ailleurs.
(la photo qu’on trouve en bas de « jardin d’hiver », c’est pris de chez moi).

by claire on 13 juillet 2012 at 17 h 15 min. #

La nature humaine est ainsi faite, si compliquée : le rêve d’un monde, d’un paysage, où, lorsqu’on y est, on ne peut s’empêcher de regretter le rêve, préférer le rêve à sa réalisation concrète. Et puis, l’être humain est multiple, parfois morcelé.

J’aime beaucoup ton poème. Le premier vers me fait penser à une nouvelle de Cortazar « La nuit face au ciel. »

by Christophe on 14 juillet 2012 at 20 h 21 min. #

euh.. Ubac, pardon!

Claire, je viens de me procurer « Écrire » de Duras, à lire ou relire c’est selon ; vraiment je trouve que ça colle et drôlement, je veux dire.. peut-être en es-tu au début véritable de l’écrire, peut-être que cette lumière et cet espace attendent, peut-être, la beauté aussi, t’attend…Elle y parle de soleil, de maison, de silence, elle y parle de…ha! et ma pensée retourne vers Miron : « Je ne suis pas arrivé pour arriver, je suis arrivé pour ce qui commence. »

je vais relire ton Jardin d’hiver
puis, je vais tâcher de contenir mon enthousiasme aussi!
Ciao ciao!

by cat on 15 juillet 2012 at 2 h 42 min. #

Oui, tu as tout à fait raison, mais aussi la nature humaine est ainsi faite qu’on a besoin de garder un espace psychique pour le désir impossible, et ce lieu est obscur, il me semble. A la fois parce qu’il est difficile à « distinguer », mais aussi parce qu’il est transgressif, et enfin parce qu’il est pour une bonne part encombré par le passé et ouvert vers l’avenir-la mort.
Je crois que vivre en plein soleil m’amène encore plus à le ressentir.
Au delà de tout ça, il y a l’espace germinatif de l’art, un arrière-plan des choses (j’ai lu ça récemment, je ne sais plus où). Parce que oui, nous avons besoin que les choses aient un arrière-plan, et besoin de le vivre comme un mystère. Réalité ou illusion, là on entre dans le domaine de la croyance et je ne suis pas douée pour ça 🙂

by claire on 16 juillet 2012 at 13 h 20 min. #

et moi je vais lire « Ecrire » de Duras. merci !

by claire on 16 juillet 2012 at 15 h 28 min. #

Je suis tout à fait d’accord avec toi, Claire. Et s’il n’y avait pas d « espace psychique pour le désir impossible » il n’y aurait pas d’écriture… pour ma part, en tout cas. 🙂

by Christophe on 16 juillet 2012 at 18 h 49 min. #

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