le temps
par claire le 18 mai, 2020
I
voila longtemps que je n’écris plus
ne t’écris plus.
la citerne à demi-enterrée où l’eau
glissait des parois
faisant nuit et jour entendre
son écoulement
où se reflétait tout au fond
le rond variable du ciel
elle est sèche maintenant
son fond est de gravats.
2 comments
« voila longtemps que je n’écris plus/
ne t’écris plus. »
Certes, la poétesse aurait pu simplement écrire « je n’écris plus/ne t’écris plus/depuis longtemps », mais elle a utilisé le présentatif « voilà …que » afin d’appuyer sur le douloureux constat, au présent d’énonciation, de la dissolution d’une relation. Écrire, c’est s’adresser à l’Autre, c’est entretenir avec elle/avec lui une passerelle essentielle à la transmission, à l’échange en continu des affects.
« la citerne à demi-enterrée où l’eau/
glissait des parois /
faisant nuit et jour entendre /
son écoulement /
où se reflétait tout au fond /
le rond variable du ciel /
elle est sèche maintenant /
son fond est de gravats. »
Après une première phrase courte qui dresse le froid constat, voici une longue et fascinante construction serpentine à visée explicative (deux subordonnées relatives et une subordonnée participiale). L’image de la désagrégation s’impose (« fond […] de gravats »), désagrégation qui prépare la disparition de l’Autre (« à demi-enterrée », « elle est sèche maintenant »). La poétesse a recours à une métaphore pour figurer cette/cet Autre dans sa fonction primordiale dispensatrice (« la citerne »). Le choix d’un nom féminin suggère qu’il s’agit d’une mère. L’imparfait des habitudes douces (« glissait », « se reflétait ») fixe le cadre apaisant de l’attachement de toujours. L’eau qui bruisse incessamment (« faisant nuit et jour entendre/son écoulement ») se confond avec la parole qui soutient, guide, balisant l’avenir et ses perspectives (« tout au fond/le rond variable du ciel »). Dans une relation aussi fusionnelle, on peine à imaginer l’indicible douleur que peut occasionner la perte prochaine d’un parent. On peut toutefois la pressentir dans le recours au pronom anaphorique (« la citerne », « elle ») qui permet de mesurer la distance incommensurable entre passé et présent, plénitude et vacuité.
Merci pour ce partage !
by jfmoods on 23 décembre 2022 at 17 h 14 min. #
Merci à toi pour cette belle interprétation du poème. Au-delà de la relation maternelle que l’image de la citerne appelle avec force, il y a tous les espaces de rencontre duelle, leur contenance et leur capacité à favoriser une créativité en écho.
C’est drôle, je parle de créativité en écho et me vient soudain l’image du miroir. Peut-être le rond d’eau accumulée au fond, reflétant le ciel ?
by claire on 6 janvier 2023 at 15 h 23 min. #