La rencontre
par claire le 18 février, 2013
c’est l’après-midi, en voiture sur une route à lacets. Une femme parle à la radio du livre qu’elle vient d’écrire, un livre consacré à un homme qu’elle n’a vu que quelques secondes, un vieil homme inconnu, plutôt petit, qui sur le quai du métro de la station Gambetta lui a souri, d’un sourire agréable, lui a dit quelques mots (qu’elle ne livre pas), et a sauté devant la rame à pleine vitesse.
Cet évènement qui, dit-elle, l’a « mise en mille morceaux », il lui a fallu bien du temps pour le voir comme un message de vie, de cet inconnu dont elle ne saura jamais rien.
A la fin de l’émission elle a choisi « Live and let die », des Beatles.
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à l’écorce, la pulpe dont est fait
celui qu’on rencontre
à ce qui se partage sur le plateau des tables
l’ombre d’un verre transparent, en diagonale dans le soleil.
à la fin de la conversation
à l’écho dont les mots sont entourés, et qu’ils appellent
longtemps après, au-delà de leur sens :
comme des arbres : forêt, troncs, futaie de mots, debout, oubliés
grands frères que baigne la lumière du haut
l’expérience.
à ce qui vient de moi et qui me revient,
comme un boomerang ou un oiseau, issu de ma propre pulpe
après avoir fait le tour de celui qui se tait.
ma pensée glissant ses tentacules
dans les rainures de ses mots.
à ce que j’ai pu entendre ensuite, à nouveau seule.
le bruit du monde peut-être, du Monde-hors-de-moi, inarticulé.
…………………….
J’ai été frappée par ce récit (il s’agissait de Michèle Lesbre, parlant de « Ecoute la pluie ») ; je me suis dit que la rencontre est comme une pierre, qui vient trouer l’eau de notre mare. Que faisons-nous des échos de ce choc, de cette irruption ? de ces cercles qui s’élargissent, qui vont si loin, jusqu’au bord ; du mouvement dans les profondeurs, de la vase soulevée ?
Cet homme est venu devant elle avec une injonction : « fais quelque chose de moi, toujours vivant en toi », avec ces quelques mots et son sourire…et il est mort. C’est parce qu’il aimait les autres, sûrement, qu’il n’a pas choisi de sauter en baissant les yeux, en se cachant. Et c’est à cause de cet amour qu’elle n’a pas pu être en repos pendant longtemps. J’imagine la colère qu’elle a dû ressentir : « pourquoi tu me fais ça à moi ? ». Mais elle a fait quelque chose de lui « vivant ».
L’autre nous dit toujours : « débrouille-toi de moi ». J’ai beaucoup ressenti ça devant les tout petits bébés, les miens : « tu m’as voulu, tu m’as eu, maintenant il faut que tu te transformes pour moi ».
La poésie sait utiliser les mots de façon particulière pour dire l’écho, les cercles concentriques de la rencontre. Pas seulement des autres, celle du monde aussi.
……………….
Plus tard, en relisant le poème, remonte mon plus vieux souvenir : purement sensoriel, un souvenir d’entrée dans le sommeil, une sorte de froissement soyeux à l’intérieur de l’oreille, et un contact de toile d’araignée…..un bien-être particulier que j’ai longtemps tenté de garder en mémoire enfant. Je me souviens que je me disais : il ne faut pas l’oublier
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