Claire Ceira

Journal réel : lundi de Pâques (dont un rêve)

par claire le 1 avril, 2013

hier un film qui m’a donné un peu la nausée, censé être drôle, où le sexe est grotesque et « ludique », où la haine affleure derrière le ridicule appuyé des personnages, leur vide.

la nuit qui suit, dans un demi-sommeil, une image surgit : c’est une photo en noir et blanc qui a un titre, qui s’appelle « l’accident ». Une jeune fille est debout contre un camion, un morceau inconnu de la carrosserie est entré dans son Å“il, un autre lui a fracassé la hanche, ensanglantéee. Elle a un beau visage, à moitié détruit. Je vois l’arc de ses dents dans sa bouche entr’ouverte. Il n’y a plus de regard, l’autre Å“il semble fermé. Je me demande comment on pourrait lui refaire un visage digne d’être regardé, un visage dont elle puisse ne pas avoir honte. Mais dans mon brouillard somnolent je réalise peu à peu qu’elle est forcément morte, vu la gravité de ses blessures. Que le morceau de métal enfoncé dans son Å“il et celui entré à hauteur de hanche la font tenir ainsi debout. Peut-être est-elle descendue par erreur du trottoir au moment où arrivait le camion ? On dirait que cette photo fait partie d’une collection, elle a beaucoup attiré les gens, les regards, à cause de la beauté de la jeune fille. Je repense à la photo qui fascinait Bataille, celle de cette femme chinoise qu’on était en train d’écorcher vivante, dont il a dit je ne sais quelle absurdité complaisante et jouissive. La nausée augmente un peu, est-ce le repas d’hier ou ces représentations ? Le sommeil s’éloigne, j’émerge et je me lève. Il ne fait pas beau du tout, peu de lumière dehors.

Je marche sous la pluie qui vient tout juste de débuter, froide. De l’abri de mon parapluie je vois un homme d’une trentaine d’années, que j’avais déjà remarqué parmi les mendiants qui sillonnent la basse ville (ils sont nombreux par ici, à cause de ce lieu bizarrement nommé « Archaos » où on les accueille et les aide un peu). Il est assis sur des marches devant une porte d’entrée. Il porte un grand bonnet de laine vert kaki, il a les mains jointes, les bras posés sur les genoux. Il ne semble pas sentir la pluie qui coule sur ses mains, sur son visage presque caché, et sa barbe rousse. Le bonnet est attaché derrière la tête par un élastique. Il ne mendie pas, ne regarde rien. Je passe devant lui, j’ai envie de lui donner de l’argent et de lui dire de se mettre à l’abri mais je ne le fais pas. Je continue ma route entre les hauts murs gris pisseux couverts de tags, dans les pas mouillés de ma lâcheté et de mon impuissance. Bien sûr au retour il n’est plus là. C’est l’absence totale sur son visage qui m’a fait le remarquer. L’absence de demande.
Tout est laid aujourd’hui.

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