Claire Ceira

C’est une pièce (2) : diptyque

par claire le 18 août, 2011

I
c’est une pièce

…..rectangulaire, étroite et nue. La fenêtre également étroite s’ouvre sur un pan de mur vert pâle, percé de deux ouvertures de petite taille. Aucun dehors n’est visible.
Il y a une chaise, une table et une sorte de lit brun, ou de grande boîte. Surtout, le carrelage ressemble, grège et quadrillé de fines lignes noires, à ces feuilles de carnets anciens, inutilisés, dont le papier aurait vieilli. La pièce entière ne contient aucune trace d’un occupant, elle semble attendre.
Si on y était enfermé, on s’assiérait je crois d’abord sur le lit, tournant le dos à la fenêtre, pour prendre la mesure de cet espace désormais à soi, de l’absence de tout élément naturel (à part l’air qu’il contient).
On serait vite saisi d’une force inconnue – vibrant comme une haine, mais sans haine. Celle du propriétaire d’un territoire sans borne, du récepteur d’une infinité d’histoires. Certaines venues du passé, et d’autres dont le germe remue, grouillantes, à peine perceptibles dans l’éprouvante absence d’obscurité.
On sentirait une joie pleine de peur et de douleur : la joie du retour au monde natal de la tyrannie, où tout se jouait.

(la pièce ressemble à une cabine de déshabillage, où l’on s’est assis dans l’attente d’un examen médical, encore en pleine santé, mais pour entrer peut-être l’instant suivant dans le territoire des malades : soumis, effarés ou stoïques, menacés de mort et sans prise sur leur vie. Elle ressemble à la chambre d’un internat, où l’on vous a fait entrer malgré vous : horaires imposés, douches communes. Elle ressemble bien sûr à celle d’une prison. On ne décide plus de ce que fera ce corps personnel qu’on a assis et qui attend, figé.
Très vite, on rassemble dans ce nouvel espace des capacités paradoxales, souterraines. Peut-être on se liquéfie, peut-être on cherche à revenir en arrière, ou bien on laisse libre cours à une panique muette, ou bien on hurle.
Mais aussi on commence à creuser une autre voie, nouvelle, une voie de patience, de face à face.)

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II
c’est une pièce,

…..ou plutôt c’est un passage, un large couloir. On se dirige vers l’angle qu’il fait, tout au bout.
En avançant, le côté droit du corps et le bras droit s’allègent, comme soulevés par deux grandes ouvertures, qui ne donnent sur rien de visible sinon leur propre arrondi, leur propre élévation.
Devant, sur le mur du fond, il y a un grand tableau rectangulaire, dessin ou peinture monochrome, dont le thème se devine à peine.
Peut-être ce sont trois personnages, dont deux sembleraient danser. Le plus grand, soulevé (lui aussi) et volant au dessus du plus petit, se penche vers lui. Le troisième est à l’écart, plus statique. Tous les traits sont courbes.
Le photographe, baignant dans la lumière faible, dans la couleur grège et granuleuse des murs, s’est sans doute arrêté pour prendre la photo. Il a bloqué un instant sa respiration, levé les yeux, l’esprit du tableau palpitant faiblement, au centre de son champ de vision.

(tu repenses à cette nuit douce et noire, à un concert dont les musiciens semblaient emportés par leur propre musique, martelée et irradiante, dans le spectre glacé des projecteurs.
Une jeune femme dansait avec impétuosité un peu plus bas dans l’herbe sombre, et un petit garçon sautait, tourbillonnant face à elle, et finissait par tomber à la renverse, gagné par toute cette ardeur. De temps en temps, elle s’arrêtait pour remonter son bustier, pour finalement s’asseoir sur le sol, tordant en chignon ses longs cheveux.
L’homme assis dans le rang devant toi se penchait en arrière, contre le dossier flexible de son siège, et son dos effleurait alors tes genoux.
Il y avait beaucoup de choses réunies : ce délire de sons, de lumières et de mouvements, la sensation chaude et immobile de ce dos…les limites du temps imparti pour cela.
Et puis les derniers accords, les applaudissements prolongés, et dans le calme revenu, le départ lent des spectateurs qui descendent des gradins, partent en petits groupes dans toutes les directions.)

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