Claire Ceira

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par claire le 23 mai, 2023

Dans le petit café où on s’est installés, froid et sombre
il y avait sur un mur cette même photo, mais vieille de
100 ans, en noir et blanc bien sûr. Rien n’avait changé :
la maison semblable à un masque de théâtre ou à un visage
effaré, au regard dédoublé, les pavés gris, l’église blanche aux chapiteaux
sculptés (plus décatie sur la photo ancienne), les maisons penchées…la fontaine.
La ville nous avait attirés encore une fois, alors que nous l’
avions presque oubliée. Et nous avons retraversé l’antique pont de pierre,
si long, trop étroit pour les voitures – nous sommes assis au milieu
sur les banquettes qui le bordent, dans la lumière baignant le fleuve
caillouteux. Un homme âgé solitaire, plus loin un jeune homme, étaient installés
là, immobiles et penchés dans le soleil, désoeuvrés. L’eau serpente lentement
vers la côte proche, et la vallée, large et plate s’ouvre
au sud, devant la mer bleue, l’horizontale invisible d’ici.

Penchés sur le parapet nous avons regardé les grands jardins en contrebas
qui bordent chaque côté de son lit. Arbres fruitiers, légumes alignés de
toutes sortes , soins patients, riche fertilité. Comme pour en témoigner, un immense
cerisier porte ses fleurs candides. C’est un soir frais d’avril .

Les jardins si beaux et vivants, la vieille cité où le soleil
pénètre peu, avec sa rue aux arcades profondes ; les portes des « palais » –
transformés en immeubles de location – semblent toujours puissantes et closes : cuir clouté
ou bois peints en noir, armoiries presque effacées. C’est l’Italie.

Aucun pays ne m’étreint si étrangement, par cette manière de vivre
dans un tissage serré du passé et du présent. Les vieilles gloires
sont là, comme en veilleuse, mais belles avec leur réseau de fissures
un peu crasseuses. Une autre vie circule là désormais, le temps prend
parfois un rythme étrange, on est en décalage, boitant dans le passé.
Pourtant, il y a tout ce qu’il faut pour être maintenant.

Très haut au-dessus de nous, un peu plus au nord, comme
un rêve de science-fiction grisâtre, l’autoroute enjambe ce monde éternel.

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