CAEDERE
par claire le 2 juin, 2010
Tu peins
comme si l’air peignait
tenait le long pinceau
posait la couleur épaisse
et prenait la pose de ce corps nu écroulé
sur le lit devant toi.
comme si tu peignais l’air qui m’entoure
immobile
sans m’avoir jamais vue.
Comme si l’air qui entoure ton bras
contenait autre chose
que cette essence de la fatigue
qui fait la vie
qui fait descendre la chair
quand on est allongé quand on dort
ou qu’on se tient debout et droit
tout nu.
La chair descend vers la terre
vers les feuilles sèches
jonchant ton jardin négligé
l’architecture d’herbe vivante et d’arbustes
et la lumière à travers tout
pour atteindre l’enfant :
bouche accrochée au sein d’un homme
vieillard aux yeux de vague.
La chair forme les murs de ta maison
ton ossature parle d’une voix forte
et s’oppose, s’arrache.
tu peins la gravité où tout descend
tout est à demi-détruit
ou à demi-jaillissant,
érigé.
Comme les longues feuilles vernissées et vertes
au-dessus de l’enfant
qui dort à demi-nue
dans la lumière.
Tu exténues ceux que tu peins, pour que la vie descende
rouge et lourde dans leurs pieds, leurs mains
leur sexe découvert,
pour qu’ils oublient qu’ils sont nus
oublient leur honte d’être ainsi faits de chair cachée
et mortelle, sexuelle
aussi mortelle que le bout desséché des feuilles
au-dessus de l’enfant dormant
aussi mortels que ces choses émouvantes
à demi-détruites
de la décharge derrière ton jardin.
Aussi radieuses que ces cheminées parfaites
orange et dressées
contre le ciel gris.
Lucian Freud
3 comments
Je découvre à pas petits et comme en retenue, votre écriture…je me suis arrêtée sur ce texte, et avant d'y revenir plus tard, je vous dis comme cette écriture est somptueuse, incisive aussi…j'aime beaucoup…je reviendrai…
by Nath on 30 juin 2011 at 6 h 56 min. #
C’est marrant,
avant de voir l’image – la peinture à laquelle vous faites référence,
je pensais à Francis Bacon:
notamment avec « tu peins la gravité »
–
en tout cas, excellent texte, encore..
by re chab on 23 novembre 2014 at 12 h 36 min. #
Oui, c’est intéressant…Il me semble que Bacon peint la haine, et ce qu’elle fait à celui qui la ressent.
Sans avoir rien lu à ce sujet, je suis presque persuadée que Bacon a été violé étant enfant, et que par exemple les portraits cannibaliques du pape , les distorsions corporelles des personnages, et certaines images énigmatiques renvoient aux troubles de la perception liés à ces situations.
Par contre, Freud me fait bien plus penser à la présence de la mort dans la vie, dans la chair en vie. Le titre du poème parle de ça aussi bien sûr.
by claire on 1 décembre 2014 at 11 h 39 min. #