Claire Ceira

car c’est ce que je désirais (rêve du fleuve)

par claire le 4 janvier, 2013

J’ai rêvé cette nuit une chose étrange, un long rêve. J’avais un voyage à faire, un voyage dans un fleuve, et ce fleuve c’était le Nil. Mais ce n’était pas un voyage « sur » le Nil……la plus importante partie du voyage se passait à nager dans le fleuve, à me laisser entraîner sous la surface, d’affluent en petit port, de rive en milieu de courant, chargé d´objets flottants. Certains endroits étaient dangereux, à cause de tout ce qui encombrait l’eau noire et plutôt sale, à cause des innombrables embarcations qui se croisaient en désordre, ce désordre particulier des pays pauvres, où chacun sait avec une habileté presque surnaturelle tirer son épingle du jeu, se faufiler, mais où nous sommes si apeurés et maladroits et débordés, trop habitués à l’ordre et la sécurité. Pour autant, moi aussi dans le rêve, je m’en débrouillais bien, je n’avais pas peur. Quand je dis « moi », c’est plutôt le rêveur, moi-celui qui rêvait, qui nageait. Il n’ y avait rien de féminin en moi, ni même (presque) une quelconque identité. J’étais le nageur-rêveur, un occidental depuis longtemps familier des eaux de ce fleuve. Habitué de défis inutiles, quelqu’un qui n’existait que dans les mouvements de la nage, l’attention aux obstacles et aux dangers, l’indifférence à la saleté inévitable. S’approcher des quais, être juste une tête mouillée dans l’obscurité, qui se déplace silencieusement entre les pilotis vaseux, les barques plates et les bidons.
Au cours du rêve je sortais souvent du fleuve, et pour certaines parties (sans doute plus difficiles) du voyage, j’allais sur une sorte de ponton flottant rejoindre deux hommes dont c’était le métier : accompagner, aider les voyageurs. Des gens du pays, que je connaissais depuis longtemps. Alors pour un jour ou deux je me laissais conduire, et dans ces moments où j’étais hors de l’eau, dans leur espèce de bateau un peu pourri, leur habitude du fleuve et de ses méandres, il me semble que j’étais une femme. Mais une sorte de femme fatiguée et intéressée seulement par ce qu’elle a à faire, qui se tait. Ma mère apparaissait dans le rêve juste un instant, participait à l’organisation du voyage, puis disparaissait.
Quand le réveil est venu, c’était trop tôt. J’ai lutté un moment pour rejoindre le rêve, replonger, car c’est ce que je désirais. Mais en vain.

eau noire, entrée
dans les moindres replis du corps dans les oreilles
la grotte étroite des narines et l’eau salée des yeux
je te partage avec toutes ces choses
qui s’écartent pour me laisser passer – eau sale
de tous les rejets de la vie tu ne pourrais rien salir
tu lisses
ma peau en toi, en qui je glisse.

j’ai quelques connaissances et quelques rappels
j’ai le plan des villes je connais quelques mots
je sais ce que font les gens qui se penchent
accroupis, à genoux – et la forme du contenant
qu’ils plongent dans tes reflets
l’écharpe de tes algues
reflue le long des pontons.

et certains t’habitent, on devine
l’éclat de leurs dents quand ils parlent
dans le noir j’entends (de là où je suis)
leurs rires planant sur la fumée d’un feu
dans la chaleur humide du soir
leurs épaules sont comme des poissons lisses.

alors je me retourne je plonge
vers le milieu du fleuve la rive opposée
presque invisible, de brumeux signaux au loin
il est temps de redevenir aveugle
de descendre dans le froid obscur et simple
au fond le courant est sans nuance
muscle serpent et roi invisible
je vais avec lui qui n’a qu’un seul sens.

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