Partance

J’ai vu, sur le chemin de la Plaine des Dés et senti la crainte des chiens errants, le soleil de juillet, une angoisse, une ouverture.

J’ai les yeux battus d’un enfant et puis un sourire, j’ai les yeux rentrés et intelligents. Je ne sens rien et tout à la fois, je suis fatigué et j’aime cela, j’aime le piquant et le gracile, j’aime les forces qui partagent cette route avec sa bordure qui est comme je l’ai dit piquante et gracile. J’aime tout je crois. Je suis très loin, j’ai dépassé les frontières de la ville, dès le début, il me semble être vers le chemin de la mer, ou alors m’enfoncer dans les terres en parfait anonyme : là est le monde. J’attise un feu dans cette campagne qui mène à Luynes, il n’y a pourtant rien de spectaculaire.

C’est le soir, il est sept heures, j’épuise le chemin en une demi-heure.

Je n’ai pas de sentiments, j’ai des sensations. J’ai le prisme enfoui et l’intelligence et l’air superficiel. J’ai les salves mouillées, plongées en soi, une écume qui s’exerce au bout des perches, des nerfs, des sens. C’est à dire que je n’ai rien.

C’est ici un passage et cela renferme une chevelure comme dans un flacon. C’est l’amour du vieux et le craquant du jeune. Le gras de l’angoisse aussi. C’est une peau mixte. C’est la sécheresse de l’eczéma, de la terre.

Il y a un silence. Il y a un chemin de fer et une route, un fatras de bruits d’insectes, une cigale desséchée sur un tronc, des chênes, des ombres, des poteaux téléphonique et un rayon oblique, un seul qui couvre la chaussée, une semelle qui s’use, des crevasses aux talons.

Je n’entends rien mais j’écoute. Je pense aux propos élogieux sur la musique et la marche de Nietzsche, je pense à son parti pris, je suis tout à fait d’accord avec lui. Je pense à un monde enchanté, celui que l’homme enchante, celui qui s’agrippe à nos racines, nos branches et dont nous faisons les fruits mûrs, je pense à la chance qu’on a de bâtir ces fruits et ce que nous sommes.

Je forge des édifices et ils disparaissent : c’est le mouvement du bonheur.

Je réfléchis, puis je laisse fléchir cette réflexion, je cultive sa coulée, son résultat. Sa recette qui demande à nouveau du travail.

J’arrive à Luynes, c’est un lieu que j’avais oublié en route. Je m’assieds au bord d’une villa et d’un carré ou plutôt d’un triangle de vignes. La nuit ne tombe toujours pas. Je pense au presque noir qui m’enveloppera définitivement. Je suis comme tout le monde.

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